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Le cas McCarthy. Une construction politique et savante

Yves Viltard

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Géographique :

Etats-Unis

Chronologique :

guerre froide
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Texte intégral

1Autant dans le domaine politique que dans celui de l'art militaire on a sans doute depuis toujours discouru sur l'ennemi intérieur. Pourtant ses figures sont multiples et d'une telle mobilité que ce serait une entreprise vaine que de vouloir en dresser un inventaire précis.

2Il peut servir à désigner toutes sortes de groupes, de personnes, à la périphérie comme au centre dans les sociétés les plus diverses. On peut le comprendre comme essentiellement exogène et associé à un ennemi extérieur à la communauté ou bien comme strictement endogène et produit, sécrété par la société elle-même. Toutes les métaphores organicistes et épidémiologiques, avec leurs catastrophiques effets de sens, ont été et sont encore inlassablement mobilisées pour parler de l'ennemi intérieur. On le rencontre dans les discours et les dispositifs juridiques de tous les types de sociétés politiques des plus libérales et démocratiques aux plus autoritaires et répressives.

3On rencontre alors aussi bien l'ennemi intérieur chez le juriste, le militaire, le policier, le politiste que chez l'acteur politique, associé à une batterie impressionnante de notions, d'idées et de concepts comme la trahison, le complot, la conspiration, le sabotage, l'espionnage, la dénonciation, la répression et sa technologie, la surveillance, le contrôle, l'inquisition, la loyauté, l'allégeance, ou encore la souveraineté, le nationalisme, l'internationalisme, la révolution, la contre-révolution, la subversion, la lutte contre la subversion, le renseignement, mais aussi l'étranger, l'immigrant, le dissident, le marginal, l'exclu, le banni, bien sûr la politique intérieure et la politique étrangère des Etats, la police et l'armée, la sécurité intérieure, la sécurité nationale, les relations internationales, la guerre, le conflit, l'adversaire, la politique en général, la menace, la peur et plus généralement l'intérieur et l'extérieur, l'interne et l'externe, le dedans et le dehors, la frontière.

4Toutes ces notions, ces idées portent des significations différentes et tracent dans les discours particuliers où on les rencontre explicitement liés et avec insistance à l'ennemi intérieur des univers de sens hétérogènes. Cela rend selon nous inextricable la recherche d'une définition univoque de l'ennemi intérieur. Il semble qu'en la matière nous soyons condamné sans l'avoir vraiment désiré au nominalisme. Cela nous apprendra à vouloir travailler sur une notion qui semble se jouer des frontières tout en contribuant avec insistance à en dessiner.

5On a fait et l'on fait un usage régulé de l'ennemi intérieur dans certaines disciplines ou spécialités. Mais si les juristes - au moins ceux qui sont préoccupés par les questions touchant justement à l'exception dans ses rapports à la loi - les militaires, les policiers et les spécialistes du renseignement mais aussi les criminologues et les psychiatres l'ont employé dans leurs différents langages techniques, il n'en va pas de même à ma connaissance chez les politistes. Ceux-ci ne l'ont pas construit comme un objet théorique significatif. L'ennemi intérieur ne fait pas clairement partie de leur vocabulaire technique. Il joue dirons-nous plutôt un rôle parfois insistant, mais pas plus que cela, de supplétif. Par contre, les différents acteurs politiques dans les sociétés les plus diverses en ont de tout temps fait usage et ont pour l'essentiel réalisé sa mise en discours. En bref, il appartient dans son rapport au politique plutôt au discours des acteurs qu'à celui du chercheur ou du savant. Mais son intérêt tient dans le fait qu'il peut aussi être paradoxalement tenu sous ses différentes figures empiriques dans les différents contextes où on le rencontre comme nécessaire à la légitimation d'institutions, de pratiques, et à la construction réglée de certains discours.

6C'est de fait l'hypothèse générale sur laquelle nous sommes partis celle où : la construction de figures de l'ennemi intérieur, qui devenaient alors lisibles semblait être indispensable à la création, mais aussi au maintien de certaines institutions bureaucratiques, à la légitimation de certaines pratiques, notamment juridiques et policières. Un autre trait nous a retenu. Depuis quelques années, les sociétés démocratiques notamment semblent être plutôt en peine d'ennemi intérieur. Le XXe siècle et plus particulièrement l'entre deux guerres et la période de la guerre froide furent propices à sa prolifération discursive explicite et si sa variante la plus moderne, « la cinquième colonne » en renouvela l'usage, la période la plus récente semble un peu en mal d'ennemi intérieur. Les nouvelles figures qui sont apparues pour relayer celles qui sont défaillantes du communisme sont polymorphes, hétérogènes, proliférantes mais ne prennent pas toujours dans les discours son nom martial et lourd de conséquences. On en parle moins. Et s'il existe des figures proches c'est sous d'autres dénominations qui participent davantage du souci de régulation qui marque les sociétés modernes de contrôle. Il est plus rarement ou plus discrètement désigné comme tel, notamment par les pouvoirs établis. Pour tout dire il est plus incertain même s'il ne manque pas de toujours contribuer, sous d'autres masques, à la formation de nouveaux dispositifs juridiques ou policiers au gré de la construction incessante et capricieuse de nouvelles menaces.

7Un autre trait de l'ennemi intérieur que l'on peut rapprocher du précédent me semble devoir être soumis à la réflexion. On parle de lui, d'ailleurs de façon plus ou moins intense selon les époques et les contextes géographiques ce qui produit incontestablement des effets comme nous l'avons vu, pourtant, lui ne parle pas. Ou plus précisément personne ne s'identifie à lui. En clair, c'est un costume que l'on ne tient pas à porter. La désignation d'ennemi intérieur est une forme d'assujettissement. Elle en dit plus sur le délateur qui se donne ainsi à voir, en spectacle, que sur sa victime, dont la présence est toute dans l'énonciation de la dénonciation. On est en peine de la voir assumée pleinement par qui que ce soit. Bien sûr lorsque la justice s'en mêle et en fait par exemple un traître au terme de la loi, il peut prendre une certaine consistance. Mais la plupart du temps on peut dire qu'il ressemble plutôt à un spectre. On peut parfois l'évoquer pour faire peur, uniquement pour faire peur. Après tout il se singularise justement par son art de savoir se rendre discret ou même invisible. Alors on peut d'autant plus suspecter partout sa présence. Et pour le révéler, l'exposer au grand jour, il faut des professionnels particulièrement habiles. On trouve là au passage de bonnes raisons pour la mise en place d'institutions spécialisées dans son identification et sa traque. Le FBI américain en est l'exemple paradigmatique.

8On peut aussi voir dans l'usage de l'ennemi intérieurbien souvent celui d'un leurre. Il a ainsi toute sa place dans des jeux politiques. Traiter un adversaire politique d'ennemi de l'intérieur, en faire l'agent d'une puissance étrangère, prétendre le débusquer comme cinquième colonne est finalement assez banal et si l'on peut dire de bonne guerre. Disons plutôt que ce fut plus particulièrement vrai au cours de la première moitié du vingtième siècle et tout au long de la guerre froide dans les états considérés comme les plus démocratiques. L'ennemi intérieur est au cœur de la rhétorique politique et le maniement partisan du symbolique. Il est du plus courant d'accuser un allié d'être objectivement le complice ou de favoriser les entreprises de l'adversaire et de se muer ainsi en ennemi intérieur. L'ennemi intérieur participe du discours politique qui pratique assez largement l'amalgame, qui n'en est pas à une collusion objective ou même à un complot près. Bien exploité ce peut être un argument polémique particulièrement efficace et comme on le sait la vie politique a comme seul principe de l'emporter sur l'adversaire. Par ailleurs, la relation est en général asymétrique dans la mesure où les politiciens appartenant à des partis dans l'opposition sont plus enclins à manier ce type de rhétorique dans les situations les plus démocratique. C'est, dans ce cas, une façon de jeter un discrédit global sur les partis ou l'équipe en charge des affaires. En clair de tracer pour les militants et plus largement pour les électeurs potentiels une ligne bien visible entre « eux » et « nous ». Mais c'est aussi la marque d'une plus grande irresponsabilité qui par définition est le lot des opposants qui disposeraient pour l'essentiel du ministère de la parole. Plus encore les opposants les plus résolus à la périphérie, même très minoritaires, faiblement intégrés au jeu politique conventionnel trouvent des ressources et donc des forces dans la perception du système politique classique comme étant peuplé d'ennemis de l'intérieur. A l'inverse dans un contexte autoritaire ce seront les détenteurs du pouvoir qui tendront à voir et en conséquence à traiter en ennemis de l'intérieur tout opposant et bien sûr les plus radicaux, leur déniant ainsi le titre d'adversaire.

9Si l'ennemi intérieur a sa place dans le discours politique et les jeux politiques il renvoie inévitablement à un arrière-plan plus sérieux, plus austère, plus martial et plus savant. Ainsi dans les polémiques politiques, si son usage repose sur la mise en doute de la sincérité ou au mieux sur l'inconscience d'un adversaire qui se rendrait ainsi complice de l'ennemi, faut-il encore que ce dernier - qui apparaît bien ici comme une présence à construire - puisse sérieusement tenir cette place, qu'il s'agisse d'un ennemi juré construit en commun. Au minimum l'adversaire politique est dénoncé comme ennemi de l'intérieur pour un comportement ou des propos qui peuvent laisser penser qu'il n'a pas pris toute la mesure de la gravité de la menace, de la dangerosité de l'ennemi commun. Au pire, qu'il souhaite, qu'il appelle de ses vœux la victoire de l'ennemi et une transformation radicale de la communauté et de ce qui semblait jusque-là sa raison d'être.

10L'accusation a un effet particulièrement dévastateur lorsque la communauté est censée être elle-même construite, trouver son ciment et son identité dans l'hostilité à l'égard d'un ennemi clairement désigné, qu'elle se définit contre cet autre. Il faut pour cela que cette distinction décisive que cette frontière entre la communauté et l'ennemi ait été savamment pensée et instituée, qu'elle connaisse une légitimité culturelle et intellectuelle dûment établie, qu'elle repose sur un ensemble de représentations tenues pour véridique par tous et soit établie comme une vérité ayant la force d'une vérité scientifique. Il faut qu'elle s'incorpore aux référentiels de l'action politique, que le savoir puisse donc, même dans une argumentation partisane ou surtout dans une argumentation partisane être mobilisé dans les jeux de pouvoir. Il faut enfin, qu'elle soit instrumentalisée dans des institutions spécialisées veillant à son respect et trouve une sanction dans l'ordre juridique. Ici, pour paraphraser Michel Foucault, la politique est bien la continuation de la guerre par d'autres moyens. C'est sans doute pour cela que les professionnels de la politique sont si prompts à crier à la trahison et au complot. Ils pensent à juste titre pouvoir en espérer un bon rendement

11L'usage dans les luttes politiques conventionnelles de figures de l'ennemi intérieur a donc pour vertu, on s'en doute, de dramatiser à souhait les enjeux. Il consiste inévitablement à jouer avec l'idée d'une menace grave pesant sur la communauté, avec la peur. Toute la question est de savoir où s'arrête le jeu, s'il est plus ou moins dangereux. Tout tient au dispositif dans lequel il s'inscrit, au rapport de force qui le rend possible, à la position du locuteur et à la stratégie qu'il sert. Cet usage peut aussi avoir des effets imprévus qui échappent aux intentions et aux calculs des différents acteurs.

12En fait, seule l'étude des usages contextualisés de l'ennemi intérieur est à même de nous faire saisir la plasticité redoutable qu'il peut prendre dans les discours et les pratiques qui en dessinent les figures alors même que celles-ci légitiment en retour ces mêmes discours et pratiques. On peut ainsi plaider pour que la science politique prenne au sérieux le très partisan et très savant ennemi intérieur.

13Le cas McCarthy ou la lutte contre l'ennemi intérieur pour toute politique

14Pour beaucoup, le nom de McCarthy demeure justement associé à l'image d'un politicien sans scrupules et à une pratique politique intolérante où tous les moyens, même les plus indignes - travestissement de la vérité, délation, humiliation et persécution - sont utilisés contre des victimes sans défenses désignées à la vindicte populaire comme ennemis de l'intérieur et de fait condamnées d'avance : c'est le maccarthysme.

15Cette réputation n'est pas usurpée. McCarthy fit en effet de la dénonciation de complots et de la traque de l'ennemi intérieur son affaire. Ce fut même son unique, exclusive et tyrannique spécialité. Ce fut chez lui une sorte de vocation, de passion dévorante. Il fut un monomaniaque du complot. Il s'y adonna sans retenue, bruyamment, et uniquement au cours des quatre années de sa vie publique qui suffirent à construire sa renommée.

  • 1  Sénat des États-Unis, Committee on Foreign Relations, Subcommittee on State Departement Loyalty In (...)
  • 2  Voir par exemple William Buckley & Brent Bozelli, McCarthy and His Ennemies, Chicago, Henry Regner (...)

16Ainsi entre le 9 février 1950 et le 2 décembre 1954 - la première date est celle où il prononce, dans un discours à Wheeling (West Virginia) les fameuses phrases : « J'ai là entre les mains une liste de 205 noms. Une liste que le secrétaire d'Etat a eu à connaître comme étant celle de membres du parti communiste qui pour autant n'en continuent pas moins à travailler au Département d'Etat et à en concevoir la politique »1 ; la seconde, celle de la censure du Sénat qui par 67 voix contre 22 met fin à sa carrière politique - le sénateur Joseph McCarthy fait travailler les machineries vouées à l'époque aux Etats-Unis à la chasse à l'ennemi intérieur. L'argumentaire politique qui arme cette pratique tient en quelques mots : il existe un complot communiste touchant les plus hautes sphères du gouvernement, qui seul peut expliquer l'affaiblissement de la position des Etats-Unis dans le monde au cours des années qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale. Il ne défend pas d'autres positions politiques précises, notamment en matière de politique intérieure. Il semble du coup accomplir une sorte de mission de sacrifice. Pour cela, il se présente et est considéré par ses rares défenseurs comme « celui qui a osé »2. On trouve là une inversion des rôles qui veut que le persécuteur se prenne et se fasse passer pour une victime.

  • 3  Voir sur ce personnage et plus généralement le lobby chinois, Joseph Keeley, The China Lobby man, (...)
  • 4  Voir sur ce point, Athan G. Theoharis et John Stuart Cox, The Boss, J. Edgar Hoover and the Great (...)

17Cette manie s'agrémente d'une particularité. Elle consiste à faire entendre qu'il connaît les noms des responsables en question. Il n'hésite pas d'ailleurs à dénoncer nommément des personnalités politiques en place comme étant les principaux animateurs du complot. Ceux-ci deviennent alors ses têtes de turc préférées. Il se complaît à apporter inlassablement ce qu'il concevait comme étant des preuves accablantes de leurs turpitudes. Il utilise pour cela des informations toujours plus ou moins tronquées, mais néanmoins souvent très précises que lui fournissent des informateurs attitrés. Peu à peu se constitue autour de McCarthy un véritable réseau de renseignements. Ce réseau ou « lobby McCarthy » selon l'expression de Robert Griffith, inclut des animateurs de groupes de pressions privés, comme Alfred Kohlberg3, l'influent industriel protaiwan, ou l'enquêteur J.B. Matthews proche du groupe de presse conservateur Hearst, qui mettent leurs archives et fichiers à sa disposition. Des renseignements lui sont aussi fournis plus ou moins obligeamment par des services officiels comme leFBI, (il est dans une relation personnelle complexe et conflictuelle avec son directeur4), ou lui parviennent sous la forme de fuites organisées par des services, ou à l'initiative personnelle de fonctionnaires travaillant dans les administrations les plus diverses. Il s'entoure d'une forte équipe de collaborateurs fidèles chargés de traiter toutes ces informations et monte ainsi une industrie dont la raison sociale est uniquement et invariablement la révélation et l'exposition au grand jour de traîtres prétendument dissimulés dans le gouvernement américain. Lors de ses apparitions publiques, il transforme le Sénat et certaines de ses commissions en autant de scènes de théâtre où il donne invariablement une représentation d'un unique spectacle. Il accuse nommément, abusant ainsi de son immunité, et sur le ton le plus solennel, des hauts fonctionnaires, des experts, des universitaires ou mieux des membres du gouvernement des Etats-Unis d'être ni plus ni moins que les animateurs d'une conspiration d'inspiration communiste. Les seules variations tiennent dans les nouveaux noms qu'il ajoute à la liste. Le gouvernement est selon ses dires purement et simplement un repère d'ennemis de l'intérieurqui mettent tous leurs talents à élaborer et mener une politique étrangère au service de l'ennemi juré des Etats-Unis : le communisme international. L'accusation est chaque fois particulièrement grave mais aussi précise, dans la mesure où McCarthy ne se contente pas de dénoncer la présence de simples espions responsables de la divulgation de secrets d'Etat auprès d'une puissance étrangère qui pourrait être l'Union soviétique. Cela va bien au-delà dans la mesure où l'ennemi a selon lui pris le contrôle de l'exécutif et dirige la politique internationale des Etats-Unis.

18Cette pratique lui valut, comme on le sait et comme on le comprend peut-être mieux après cette rapide description, une renommée qui dépassa très vite les frontières des Etats-Unis. Jamais en mal de publicité, il sait pendant ces quatre années, tenir en haleine les médias et un public toujours plus vaste. On attend avec de plus en plus d'impatience ses révélations fracassantes. Il n'est d'ailleurs jamais en reste. Ses informations, au sens propre scandaleuses, sont toujours plus énormes. Mais il sait leur donner les apparences d'une véracité quasi scientifique. McCarthy avec un acharnement maniaque leste ses constructions les plus audacieuses et les plus décousues d'indices, de détails, de documents puisés aux meilleures sources policières.

  • 5  Il meurt le 2 mai 1957 d'une cirrhose du foie.
  • 6  Richard H. Rovere, Senator Joe McCarthy, (1959), Harper colophon books, 1973, p.260.
  • 7  Michel Foucault, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p.123.

19Ainsi McCarthy dessine une stratégie politique, inscrite dans des relations de pouvoir, où la référence à l'ennemi intérieur est décisive, centrale. C'est le levier unique dont il ne cessera de jouer. On vit très vite qu'il avait trouvé là un mode d'action, un « truc » si l'on veut, qui dans une conjoncture particulière qui fut celle de la guerre froide au début des années cinquante aux Etats-Unis, provoquait des effets importants et immédiats, qui ne pouvait laisser personne indifférent. Il en usa et abusa. Il s'enivra5, au sens propre comme au figuré, du pouvoir que cet usage singulier de l'ennemi intérieurqu'il avait bricolé et mis au point un peu par hasard semblait lui donner. Il s'adonna sans relâche à cet exercice dangereux. Il semblait au bout du compte, comme très intuitivement un de ses meilleurs biographes, l'essayiste Richard H. Rovere l'indique, ayant tout sacrifié à cette passion qui lui avait si vite rapporté une célébrité inattendue, s'être à ce jeu précipité « la tête la première hors de la réalité » (a headlong flight from reality)6. Il semblait totalement pris et fasciné par cet exercice de puissance, qui était bien un exercice de pouvoir, dont il semblait tirer une unique et évidente jouissance. Il en renouvela inlassablement et avec monotonie l'expérience, tant que les circonstances - où si l'on veut le dispositif complexe et hétérogène incluant ses pratiques - lui en donnèrent le loisir. Le pouvoir n'est pas, rappelons-le avec Michel Foucault, « quelque chose qui s'acquiert, s'arrache ou se partage, quelque chose qu'on garde ou qu'on laisse échapper ; le pouvoir s'exerce à partir de points innombrables, et dans le jeu de relations inégalitaires et mobiles »7.

La machinerie mise en œuvre par McCarthy

  • 8  Richard Rovere, Senator Joe McCarthy, p.269.

20Il est donc temps de voir plus concrètement dans le système, à quoi ressemble la machinerie réglée par McCarthy, comment est construit et quelle figure prend précisément l'ennemi intérieur qui semble tant avoir contribué à produire les spectaculaires effets que l'on connaît et que McCarthy se complaira à reproduire. On peut là encore solliciter Richard Rovere. Prenant la précaution de se ranger sans équivoque possible parmi ceux qui « virent dans McCarthy et le maccarthysme des menaces graves autant que sinistres », il affirme : « Je tends à être plus que d'autres doublement impressionné par la force intérieure qu'il contient et par la force de la résistance qu'il suscita... ». Et il ajoute un peu plus loin, ce qui pouvait passer pour une provocation, qu'à l'époque, en tant que journaliste, il ne se senti jamais « dans l'obligation de dire quoi que ce soit [qu'il] ne considérât comme vrai sur MacCarthy et le maccarthysme »8.

21Pour pallier toute ambiguïté, on se doit d'écarter d'emblée toute interprétation psychologique que la référence à une mystérieuse « force intérieure » pourrait suggérer. Tout l'intérêt de la remarque de Rovere tient dans le lien indissoluble qu'il établit entre les pratiques de McCarthy et les résistances auxquelles elles donnent lieu. Les résistances qu'elles suscitent font partie de son système. Il en tient le plus grand compte et d'une certaine façon en tire jusqu'à aujourd'hui d'ailleurs l'essentiel de sa renommée.

22D'un côté, McCarthy fait en effet apparemment preuve d'un impressionnant aplomb. Il ne résiste jamais, comme on l'a déjà dit, à la tentation de désigner nommément comme responsable effectif d'une vaste conspiration, comme traîtres, comme ennemis de l'intérieurdes membres du gouvernement, voire le président des Etats-Unis lui-même. Peu semblait d'ailleurs lui importer la couleur politique de celui-ci, qu'il soit démocrate ou républicain, qu'il s'agisse en l'occurrence de Truman ou d'Eisenhower. Il utilisait dans ce dessein un procédé argumentaire original où la rhétorique politique était immanquablement déviée, comme aimantée, vers des révélations stupéfiantes susceptibles de retenir l'attention du public. D'un autre coté, ceux qu'il accuse nommément ou qu'il met en cause avec tant de précision ne peuvent pas légitimement s'en désintéresser, on le comprend. C'est exactement ce qui arriva en février 1950. A peine le discours de Wheeling prononcé, le Département d'Etat veut en savoir plus sur cette histoire de liste de communistes. Une liste dont on doit tout de suite dire, on le sait maintenant, et il l'avouera d'ailleurs lui-même qu'elle n'existait bien sûr pas. L'intérêt grandissant que provoquent ses « révélations » l'encourage à surenchérir. A un journaliste qui lui demande quelques jours plus tard si, dans le cas où le Secrétaire d'Etat Dean Acheson l'appelait pour lui demander les noms, est-ce qu'il pourrait les lui donner ? Sa réponse est immédiate : non seulement il pourrait, mais il le ferait. Le lendemain dans une conférence de presse improvisée, il affirme enfin que si le président Truman lui-même voulait lui téléphoner il aurait les noms.

  • 9  Voir New York Time, 31 mars 1950, p.1, Titre à la une : « Truman calls 3 senators saboteurs ; Asks (...)

23Sa méthode consistera donc toujours à faire monter les enchères. Il recherche constamment à être reconnu comme adversaire par les plus hauts responsables de la politique américaine. Le 30 mars 1950, il atteint son but. Alors que le battage autour de ses révélations prend de l'ampleur, Truman, furieux, déclare que McCarthy et deux autres sénateurs républicains conservateurs, Wherry et Bridges « sabotent la politique étrangère américaine » et les dénonce comme « les meilleurs atouts du Kremlin »9. Il rendait en quelque sorte à McCarthy la monnaie de sa pièce. Ce dernier ne manquait pas alors une occasion de voir dans ce type de riposte une preuve supplémentaire d'un complot bien plus vaste encore.

Une méthode qui ne trompe pas grand monde à l'époque

24On doit dire que son usage de l'ennemi intérieurdans la rhétorique partisane entrait en cela dans les jeux politiques conventionnels.

  • 10  NYT, 8 avril 1950, p.12.
  • 11  Jack Anderson & Ronald W. May, McCarthy, the Senator, the " Ism ", Boston, The Beacon Press, 1952.
  • 12  Intitulé exact de la brochure : McCarthyism, the fight for America, Documented answers to question (...)

25Encore, on doit affirmer, ce qui n'est pas toujours connu, que ses méthodes dès le début ne trompèrent pas grand monde. Ses accusations furent rapidement considérées comme passablement fantaisistes par une majorité de la presse, même s'il n'est pas contradictoire qu'un public de curieux, de badauds toujours plus nombreux manifestait toujours plus d'intérêt pour les spectacles où McCarthy somme de comparaître les responsables de la politique étrangère américaine. Il ne fallut pas longtemps pour que le « maccarthysme » soit défini comme un procédé politique détestable. Un caricaturiste Herbert Block inventa ce terme dès mars 1950. Le 8 avril paraissait dans le New York Time un article de fond intitulé, « The menace of M'Cartyism ». Il se concluait ainsi : « Dans la mesure où le maccarthysme encourage un conformisme de la pensée à l'intérieur et à l'extérieur du gouvernement, un profond et durable préjudice serait alors causé à la nation »10. Dès 1952 deux journalistes, Jack Anderson et Ronald W. May publiaient une première biographie de McCarthy extrêmement défavorable intitulé, McCarthy, the Senator, the " Ism "11. La négativité du maccarthysme est établie dès cette date. On peut en trouver une preuve cocasse dans le fait que McCarthy publie lui-même une brochure intitulée ni plus ni moins McCarthyism12. Si une intransigeance radicale à l'égard du communisme et toutes ses variantes c'est du maccarthysme, alors il revendique d'être le premier des maccarthystes.

26Qui plus est, la première commission du Sénat qui examine dès mars 1950 ses allégations sur l'infiltration de communistes au Département d'Etat, (The State Department Loyalty Investigation Subcommmittee of the Committee on Foreign Relations, dite commission Tydings du nom du sénateur démocrate qui la dirige), retourne contre lui la charge de la preuve. Les démocrates se sentent alors encore assez sûrs d'eux pour lui demander des comptes et pensent pouvoir aisément le confondre. Il est mis au défi de donner une consistance à ses accusations. La commission conclura officiellement en juillet 1950 dans son rapport final, qui ne sera bien sûr pas approuvé par les membres républicains de la commission, que le sénateur McCarthy a porté des accusations « frauduleuses et fantaisistes », qu'il a traité les faits de façon « cavalière » et a « tordu, perverti et déformé la vérité ». Pourtant cette première condamnation n'arrêtera pas le sénateur du Wisconsin. L'épisode est néanmoins significatif. Il indique l'importance des résistances que ses méthodes rencontrent immédiatement.

27Le dernier acte de la pièce en 1954, concluant à son indignité en est la manifestation ultime. La motion de censure qui le condamne affirme qu'il n'a pas respecté « la dignité, l'honneur, l'autorité et les compétences du Sénat » contribuant à jeter un grave discrédit sur des « personnes haut placées » et « notre forme de gouvernement ».

McCarthy, McCarthysme et l'auto-victimisation du persécuteur

28Mais avant que le Sénat ne mette ainsi un point final à son aventure, McCarthy trouve, malgré le peu de crédit accordé à ses accusations, les ressources pour rebondir. Comme on l'a dit, il intègre en fait dans son système les oppositions qu'il rencontre. Il joue de sa propre victimisation. Il passe maître dans l'art de monter des spectacles où il met en scène le conflit qu'il a inventé. Il serait donc le seul à oser affronter, comme un véritable martyr, les plus hauts responsables de la politique américaine, notamment la politique étrangère, qui auraient hourdi une conspiration visant ni plus ni moins à détruire la puissance et l'influence des Etats-Unis dans le monde.

29Cela paraît aujourd'hui tellement extravagant qu'il faut ici précisément citer McCarthy pour faire toucher du doigt comment est agencé son système argumentaire, quels en sont les ressorts, comment il y joue de l'ennemi intérieur.

  • 13  Joseph R. McCarthy, America's Retreat from Victory, New York, The Devin-Adair Company, 1952.

30Ainsi, parmi tout un tas de personnalités mais aussi d'obscurs auxquels il s'attaque un peu au hasard, au gré des fuites et des dénonciations qui lui parvenaient, (et en dehors du sinologue Owen Lattimore et des diplomates spécialistes de l'Extrême-Orient comme John Carter Vincent, John Steward Service et l'ambassadeur Philip C. Jessup), les cibles principales, obsessionnelles du sénateur du Wisconsin furent inlassablement le secrétaire d'Etat de Truman de 1949 à 1952 Dean Acheson, et le général George Marshall - celui du plan - qui le précéda à ce poste entre 1947 et 1948 avant de devenir secrétaire à la défense de 1949 à 1951. L'acharnement de McCarthy contre ce dernier le conduisit à lui consacrer un livre ou plutôt un virulent pamphlet au titre évocateur, America's retreat from victory,sous-titré, The Story of George Catlett Marshall13. Il reprenait en fait un discours qu'il avait prononcé au Sénat le 14 juin 1951. Il prétendait y retracer la carrière du général, considéré par lui comme rien moins que le principal responsable du complot qui seul pouvait expliquer le recul des Etats-Unis dans le monde. On aurait volé aux Américains leur victoire et la responsabilité en revenait aux démocrates mais plus précisément aux responsables actuels de la politique étrangère et de la défense des Etats-Unis. L'occasion du discours était toute politique. Il s'articulait sur la campagne menée au Congrès par les républicains après le limogeage en avril du commandant suprême en Corée, le général McArthur dont ils avaient bien sûr pris la défense. McCarthy n'avait pas manqué de saisir l'opportunité pour s'en prendre à une de ses têtes de turc préférées en donnant à cette occasion toute la mesure de son « art » rhétorique.

31Tout d'abord, dans une introduction expliquant les conditions dans lesquelles le discours avait été fait, il se pose en héros : parlant de lui-même à la troisième personne, il se présente comme étant le seul à oser affronter Marshall et donc aussi en future victime de l'ostracisme que le courage de ses propos ne manquerait pas de lui valoir. « Parmi les questions soulevées par ce discours », nous dit-il, « il y a celles-ci » :

  • 14  Ibid., p.3.

32« Quels sont les motifs de McCarthy ? Pourquoi McCarthy fait-il tant de cas du Secrétaire à la défense et dépense-t-il tant de temps à préparer et rechercher une telle documentation sur son histoire ? Ces questions me rappellent les conseils que certains de mes amis m'ont donné avant que je ne révèle l'histoire de George Marshall. " Ne le fais pas McCarthy ", disaient-ils. " Marshall a été construit comme un héros tellement grand aux yeux du peuple que tu te détruirais politiquement si tu portais la main sur les lauriers du grand homme ". Ma réponse à ces amis si bien intentionnés est que les raisons pour lesquelles le monde est dans un aussi tragique état aujourd'hui est que trop de politiciens ne font que ce qu'ils considèrent comme politiquement avisé - seulement ce qui est sûr pour leur propre fortune politique »14.

  • 15  Ibid., p.4.

33Vient ensuite l'exposition des « données » qui dans la rhétorique politique de McCarthy mais aussi d'autres républicains à l'époque justifient que l'on se pose des questions sur ceux qui dirigent les Etats-Unis. « Comme toile de fond à l'histoire de Marshall dont j'ai parlé le 14 juin », écrit-il, « Il y a un fait brutal, rude : depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le monde libre a perdu au profit du communisme international 100 millions de personnes par an »15.

  • 16  Ibid., p.168.

34Il se lance alors dans un minutieux et fastidieux récit partisan de la vie de Marshall, accumulant des « révélations » innombrables dans lesquelles il veut voir autant de preuves de sa trahison. Il fait côtoyer son nom avec ceux de ses cibles habituelles : Hiss, Acheson, Service, Vincent, Lattimore et d'autres. Il prétend nous conduire ainsi au saint des saints du complot. « Le président ? » s'inquiète-t-il. « Il est leur otage... il leur sert de couverture » répond-t-il sans détour. « Comment rendre compte de notre actuelle situation sans penser que des hommes hauts placés au gouvernement se sont concertés pour nous livrer au désastre ? ». La réponse s'impose à lui : « Ce ne peut être que le fruit d'une grande conspiration, une conspiration si immense qu'elle dépasse toutes les entreprises de ce genre connues précédemment dans l'histoire de l'humanité »16.

  • 17  Voir la biographie la plus récente de David M. Oshinsky qu'il a fort judicieusement appelé : A Con (...)
  • 18  McCarthy, Ibid., pp.171-71. Termes soulignés par nous.

35On doit considérer avec d'autres que McCarthy atteint là un sommet dans l'usage qui lui est coutumier de la grandiloquence17. On ne doit pas oublier qu'il fut avocat. Après ça la conclusion générale où il enfonce le clou peut paraître bien sobre. « Quel est l'objectif de la conspiration ? » se demande-t-il. La réponse lui apparaît clairement : « Réduire la part des Etats-Unis dans les affaires mondiales, nous affaiblir militairement, troubler les esprits avec des discours défaitistes en Extrême-Orient et ébranler notre détermination à résister au mal. Dans quel but ? Dans celui de nous frustrer de nos victoires et finalement de nous faire succomber grâce aux intrigues menées chez nous par les Soviétiques tout autant qu'à leur puissance militaire à l'extérieur. Est-ce aller trop loin ? L'histoire nous offre de nombreux exemples d'états riches et puissants qui ont été démoralisés del'intérieur, affaiblis et abusés jusqu'à ce qu'ils soient incapables de résister à une agression »18.

  • 19  Ibid., p.177.
  • 20  Ibid., p.178.

36Enfin le texte est suivi d'une annexe où il évoque les réactions de la presse au discours du 14 avril et en justifie la publication. C'est une réponse aux journalistes qui l'auraient, dans leur majorité, condamné par avance sans avoir pris la peine de le lire vraiment. Il nous donne ici un autre exemple des résistances que ses méthodes n'ont jamais manqué de susciter et de son propre positionnement stratégique comme victime. Alors qu'il s'est fait, comme on vient de le voir précisément avec Marshall, une spécialité de mettre en doute la loyauté personnellement envers leur pays des responsables de la politique américaine, il s'indigne « des attaques personnelles et des insultes » de la « presse de gauche et communiste » à son égard. Pour preuve, il en propose un florilège : « grande gueule... irresponsable... pauvre clown... complètement sans preuve... du réchauffé... publicité sur la peur... vieilles affaires de loyauté éculées... terrifiant joueur... secret de conspirateur... fou... fouineur... immunité sénatoriale... accusations tapageuses... vitupérations calomnieuses... accusations sauvages »19. Et de se lamenter : « Pourquoi cette hystérie malsaine ? Pourquoi ces calomnies ? Pourquoi cet ostracisme ? ». Mais là encore il en trouve la raison dans un complot : les médias qui lui sont hostiles sont stipendiés par le Département d'Etat, « 27 millions de dollars de fonds secrets rien que pour l'année dernière »20.

37Si McCarthy rencontre de telles résistances et trouve à les utiliser pour participer à la construction du personnage de croque-mitaine dont il tire jouissance, il faut, on l'a dit, qu'il dispose de ressources qui font sa force.

La construction politique de l'ennemi intérieur

  • 21  On n'a pas assez d'espace ici pour mener une réflexion approfondie sur la notion de « question » e (...)
  • 22  Hofstadter rapporte la réaction d'une militante républicaine après la victoire d'Eisenhower : « En (...)

38Il y a d'abord et surtout la perception brutale en 1949 d'un retournement de la situation internationale défavorable aux Etats-Unis. Trois événements, l'arrivée au pouvoir de Mao en Chine continentale, l'acquisition par les Soviétiques de la bombe atomique et l'arrestation d'espions en Angleterre, au Canada, et sur le territoire américain, vont participer à la construction de la question communiste comme enjeu essentiel dans la vie politique américaine au début des années cinquante. Le déclenchement en juin 1950 de la guerre de Corée, l'engagement physique des troupes américaines, l'intervention imprévue des « volontaires chinois » en octobre 1950 et surtout l'impression d'enlisement que donnait l'évolution du conflit firent monter les tensions politiques aux Etats-Unis même en installant comme une obsession au cœur des luttes politiques la « question communiste » qui est alors conventionnellement construite pour toutes les parties comme menace communiste que ce soit aussi bien dans ses dimensions internationales qu'intérieures21. Ces événements surviennent dans un climat politique où les relations entre républicains et démocrates n'avaient cessé de se détériorer, notamment depuis 1946, justement sur les questions de politique internationale. En effet, les républicains qui avaient repris la majorité au Congrès en 1946 (date de la première élection de McCarthy comme sénateur) croyaient bien pouvoir transformer ce succès en 1948 avec la reconquête de la présidence après près de vingt ans passés dans l'opposition. L'élection, contre toute attente, de Truman leur donna le sentiment de s'être fait voler la victoire et leur remonté aux élections de mi-mandat présidentiel en 1950 les renforça dans cette opinion. La politique bipartisane en matière de politique étrangère qui avait eu cours pendant la guerre et dans l'immédiat après-guerre était donc bien passée de mode. Plus encore, au Congrès, les républicains, notamment les plus conservateurs qui trouvaient maintenant souvent du renfort chez les démocrates sudistes qui rompaient ainsi l'unité qui avait fait la force de Roosevelt, remirent systématiquement en cause la prééminence de l'exécutif dans l'élaboration et la conduite des politiques notamment dans le domaine des relations internationales après la guerre. Comme on le sait l'exécutif et plus précisément la présidence avaient depuis les années trente et le New Deal,vu croître son champ de compétence et d'autorité avec l'intervention accrue de l'Etat, de la réglementation et de la régulation dans de nombreux domaines. Beaucoup de conservateurs n'avaient jamais digéré le keynésianisme qui n'était en fait pour eux qu'une forme de dirigisme d'inspiration socialiste remettent en cause les sacro-saints principes de la libre entreprise sur lesquels l'Amérique avait été fondée. Les événements internationaux de la fin des années quarante et l'espoir d'une revanche les rendirent plus agressifs dans la critique des politiques de l'administration démocrate. Dans ce sens McCarthy ne mène pas une action isolée même si elle reste singulière. Si certains républicains au Sénat s'inquiètent et condamnent rapidement ses façons de faire, d'autres se montrent moins regardants comme le leader républicain Taft. Dans cette période de tension politique, en vieux routier, il l'encourage discrètement à ne pas se décourager lorsque la minceur de ses preuves est mise en évidence dans une des multiples « affaires » qu'il a soulevée. On rapporte qu'il lui glisse un jour : « si vous devez en abandonner un, prenez-en un autre ». Mais il ne faut pas croire pour autant que l'arrivée du républicain Eisenhower à la présidence en 1952 rassure les conservateurs de tout poil que l'on peut qualifier de nationalistes et si prompts à voir des communistes partout22.

Pour les conservateurs dénoncer la « présence communiste au gouvernement », c'est aussi s'en prendre au secret qui entoure l'élaboration des politiques américaines

39Les conservateurs dénonçaient et continuent de dénoncer le rôle des experts et du secret dans l'élaboration de politiques sur lesquelles ils jettent en permanence un soupçon. Elles sont pour eux mises au service de doctrines d'inspiration socialiste, cela dans le dos et au mépris du peuple qu'ils se considèrent les plus légitimes à représenter comme membres du Congrès. La dénonciation des « communistes au gouvernement » ou de la « complaisance à l'égard du communisme » (soft on communism) n'était pas une invention de McCarthy. Ces slogans avaient déjà beaucoup servi notamment depuis 1946 et étaient rituellement utilisés dans les interventions des membres du Congrès les plus conservateurs comme John Bricker, Styles Bridges, William Jenner, Karl Mundt, William Knowland, Walter Judd et bien d'autres. Dans les relations internationales, une suspicion particulière fut systématiquement jetée sur les accords internationaux conclus pendant et après la guerre par l'administration démocrate comme contenant des clauses secrètes représentant autant de concessions ou de largesses accordées au communisme international. Les termes Yalta, ONU, OTAN ne sont plus prononcés qu'avec force sous-entendus laissant craindre les pires trahisons, pour tout dire, des abandons de la puissance américaine que l'on aurait volontairement cachés au peuple. Il y a après 1946 la montée au Sénat d'une revendication centrale visant à lui redonner le contrôle de la politique étrangère américaine qui serait tombée entre des mains douteuses. Les sénateurs proposent alors inlassablement, d'ailleurs sans grand succès, de multiples résolutions allant dans ce sens.

  • 23  Richard Rovere, Senator Joe McCarthy, p.260.

40Cela doit nous conduire à une réflexion plus générale. On pouvait s'étonner de l'intérêt exclusif manifesté par McCarthy pour les questions touchant à la défense et aux relations internationales. Comme Rovere l'indique, McCarthy peut être qualifié de démagogue, ou si l'on veut de populiste, mais de populiste d'un nouveau type. « A une époque où l'Amérique est plus une nation qu'elle ne l'a jamais été », il devient possible aux politiciens d'exploiter à propos des questions internationales les « aspirations et les anxiétés » qui sourdent de la société. Et lorsque « le fanatisme prend une forme politique cela ne peut plus être sur des questions touchant à la valeur de la monnaie ou au travail (comme ce fut précédemment le cas), ou tout autre question domestique (à l'exception de la question raciale), mais sur la politique étrangère »23. La « fuite de la réalité » de McCarthy concerne la réalité ultime de notre époque, la réalité internationale. Par ailleurs, l'habitude prise par les sénateurs conservateurs américains - McCarthy compris - de dénoncer la « présence de communistes au gouvernement », a en fait une histoire précise. Elle trouve son origine dans une affaire qui l'a rendue légitime.

  • 24  Département d'État, United States Relations with China, (The China White Paper, Departement of Sta (...)

41Fin 1945, le très conservateur ambassadeur des Etats-Unis en Chine John Hurley démissionne spectaculairement en affirmant qu'il ne pouvait plus poursuivre sa mission. Il accuse les conseillers politiques de l'ambassade à Chongqing en accord avec les responsables de la politique chinoise au département d'Etat de saboter systématiquement la politique américaine qu'il représente et qui vise à travailler à l'unification de la Chine à travers celle des différentes factions alors en conflit. Il déclare voir dans le comportement de ces fonctionnaires du Département l'expression d'une conspiration favorable aux communistes chinois cela avec la bénédiction « du bloc impérialiste qui veut voir la Chine rester divisée » (il ne précisait pas, mais on peut penser qu'il rassemblait dans ce « bloc » les Anglais, les Français et les Soviétiques). Il termine sa lettre de démission envoyée à Truman le 26 novembre 1945, en affirmant sans sourciller : « Dans le même temps une fraction considérable de notre Département d'Etat est engagée dans un soutien général au communisme dont la Chine n'est qu'un exemple particulier »24. Peu de temps après il allait, dans les mêmes termes, réitérer ses accusations devant une commission du Sénat.

42Ces accusations quant à l'existence au sein du département d'Etat d'un complot pro-communiste feront leur chemin dans les jeux politiques. Qui plus est, elles se trouvent liées à des péripéties politico-judiciaires qui, dans un premier temps, resteront sous le contrôle de l'exécutif, mais lui échapperont progressivement pour alimenter le jeu politique construit autour de la question communiste.

  • 25  Voir dans ce sens Harvey Klehr & Ronald Radosh, The Amerasia Spy Case, prelude to Mccarthyism, Cha (...)

43En effet, le coup de théâtre d'Hurley est doublé d'une ténébreuse affaire de fuites qui au gré de son exploitation, notamment par McCarthy, ou de ses interprétations, aujourd'hui encore par des historiens révisionnistes25, donnera un sol plus ou moins solide à ses accusations initiales de conspiration communiste au Département d'Etat.

44Pour mémoire, il s'agit de l'affaire dite de l'Amerasia, du nom d'une revue confidentielle américaine consacrée à l'Asie. Elle est dirigée par un certain Philip Jaffe qui a des liens avec des dirigeants du parti communiste américain. Elle se veut et se présente à l'époque comme ouvertement favorable aux mouvements révolutionnaires en Asie. Le 6 juin 1945, six personnes sont arrêtées, dont Philip Jaffe, Emmanuel Larsen, un employé subalterne du Département d'Etat et surtout John Stewart Service, un diplomate qui était encore quelques mois avant conseiller politique à Chongqing, et effectivement en conflit ouvert avec Hurley. John Service est plus personnellement accusé d'avoir donné à Jaffe des documents classés secrets que le FBI retrouvera au siège de la revue, certains y ayant été publiés. L'affaire dans un premier temps n'eut pas de conséquences judiciaires trop graves pour ses protagonistes et on a pu la croire un moment oubliée. Il fut ensuite facile pour les milieux conservateurs de voir dans ces dernières péripéties la volonté de l'exécutif, Département d'Etat, de la Justice et même FBI et le président lui-même, de l'étouffer prouvant ainsi sa gravité. On avait bien là matière à construire les contours d'un complot politiquement exploitable.

La question de l'ennemi intérieur ou l'exploitation de la « perte de la Chine » contre la politique tournée vers l'Europe de l'exécutif

  • 26  Voir John N. Thomas, The Institute of Pacific Relations, Asian Scholars and american Politics, Sea (...)

45Il n'est pas alors très étonnant que McCarthy et d'autres aient trouvé là un inépuisable filon. Jusqu'au milieu des années cinquante des procédures devant des commissions du Congrès, des instances administratives chargées de contrôler la loyauté des fonctionnaires ou devant la justice ont régulièrement et inlassablement entretenu et étendu la suspicion à l'égard des diplomates qui à des degrés divers avaient eu des responsabilités dans la politique chinoise au Département d'Etat. Ainsi John Service mais aussi Edmund Clubb, John Paton Davies ou John Carter Vincent furent l'objet d'incessantes tracasseries. La traque sera étendue par McCarthy, aiguillée par Kohlberg, vers les milieux académiques. Des chercheurs et des experts comme Owen Lattimore, John Fairbank, la principale institution de recherche sur l'Asie, l'Institut of Pacific Relations seront ensuite sur la base d'un pur et simple amalgame soumis à des investigations répétées. La Sous-commission sur la Sécurité Intérieure du Sénat (équivalent sénatorial de la fameuse Commission sur les Affaires Anti-américaines de la chambre des Représentants), dirigée par le démocrate ultra conservateur McCarran fera, de juillet 1951 à juin 1952, le « procès » en bonne et due forme de la politique chinoise du Département d'Etat. L'opportunité en sera une enquête et des auditions sur les activités passées de l'IPR où l'affaire de l'Amerasia sera à nouveau évoquée. Elle validera ni plus ni moins la thèse du complot en affirmant dans ses conclusions que, « sans les machinations d'un petit groupe qui contrôlait l'IPR, la Chine serait libre »26. Les spécialistes de la Chine,Owen Lattimore en tête, étaient, solennellement cette fois, désignés à l'opinion publique par une commission du Sénat comme les principaux instruments de la conspiration communiste qui aurait influencé la politique asiatique du Département d'Etat et que ses responsables successifs notamment Marshall et Acheson auraient endossée.

46Les milieux politiques nationalistes et conservateurs construisent ainsi autour de la question chinoise l'essentiel de leur rhétorique visant à mettre en difficultés les responsables de la politique étrangère américaine. Ils dénoncent inlassablement à partir de 1950 « la perte de la Chine » (Loss of China) comme preuve de la trahison des intérêts américains dans le monde. Ce recul n'est pour eux que le début de la réalisation d'un vaste plan concerté avec les soviétiques visant à abandonner l'Asie aux communistes. Le thème est en fait judicieusement choisi et ceux que l'on appelle les partisans de « l'Asie d'abord » comme les sénateurs Bridges et Knowland ou le représentant Walter Judd, qui ont des liens notoires avec le lobby chinois pro-taiwan trouvent là un instrument de pression permanent sur les orientations fondamentales de la politique internationale des Etats-Unis. Il est en fait alors parfaitement vrai que les responsables effectifs de la politique étrangère américaine, à la présidence comme au département d'Etat et notamment les experts comme George Kennan, ont depuis la fin de 1945 soit le début effectif de la guerre froide, fait de l'aide à l'Europe occidentale autant sur le plan économique, militaire que politique, une priorité stratégique.

47En imposant leurs conditions au vote des crédits pour l'aide à l'Europe les partisans de l'« Asie d'abord » recyclent en fait un ressentiment traditionnel vis-à-vis de l'Europe mais surtout de l'Angleterre. Ils joignent ainsi leurs voix aux isolationnistes de toujours qui pensent que l'on a déjà trop fait pour la vieille Europe d'où vient tout le mal. Et selon eux pour un piètre résultat. Les communistes y sont partout, notamment en France et en Italie. Mais surtout ils prennent des accents nativistes pour désigner l'ennemi de toujours : l'Anglais, l'oppresseur dont les Américains furent les premiers à se libérer du joug colonial. Ils dénoncent tout autant la mentalité aristocratique, le snobisme que l'impérialisme et le colonialisme britannique. Pourquoi venir maintenant au secours de cette Angleterre qui s'est donné un gouvernement socialiste et qui est infestée d'espions soviétiques recrutés dans les milieux aristocratiques les mieux éduqués, demandent-ils avec force ? Qui plus est, le gouvernement britannique, pour sauver ses intérêts coloniaux en Asie notamment à Hong-Kong, s'est empressé de reconnaître la Chine communiste.

48Dès Wheeling, McCarthy ajuste ce discours à sa spécialité, la dénonciation de l'ennemi intérieur. Il construit ainsi une figure aristocratique à connotation britannique de l'ennemi intérieur. Celui-ci conduirait la politique étrangère des Etats-Unis vers un désastre dont l'affaire chinoise est un avant-goût. Ainsi pour McCarthy, « Les raisons pour lesquelles nous nous trouvons dans une position d'impuissance ne sont pas dues au fait que notre unique ennemi potentiel ait envoyé des hommes envahir nos côtes... mais plutôt du fait des trahisons de ceux qui ont été si bien traités par cette Nation. Ce ne sont pas les moins fortunés, ou les membres de groupes minoritaires qui ont trahi cette Nation... mais plutôt ceux qui ont eux tous les bénéfices que la Nation la plus riche du monde peut offrir... les plus belles demeures, les meilleurs collèges et les meilleurs emplois au gouvernement que nous puissions donner. Cela saute aux yeux au Département d'Etat. Là, les brillants jeunes gens qui sont nés avec une cuillère d'argent dans la bouche, sont ceux qui nous trahissent ».

49Il aborde dans la foulée l'affaire chinoise et dénonce John Service en ces termes : « Maintenant je sais, il est très facile de condamner un bureau ou un ministère en termes généraux. Aussi je vais vous présenter des cas précis. Au moment où Tchang Kai-chek combattait à nos côtés, le Département d'Etat avait en Chine un jeune homme du nom de John Service. Il n'avait pas évidemment pour mission de travailler à la communisation de la Chine. Pourtant, étrangement, il envoyait des rapports officiels au Département d'Etat nous pressant de torpiller notre allié Tchang Kai-chek... et affirmait dans des termes inqualifiables (et je cite) que " le communisme était la seule chance de la Chine "... ».

  • 27  Joseph McCarthy, discours de Wheeling du 9 février 1950.

50Un peu plus loin, le lien entre Service et Acheson est insidieusement fait. « Aujourd'hui mesdames et messieurs », s'exclame McCarthy, « cet homme Service est sur le point de représenter le Département d'Etat et Acheson à Calcutta... ». Enfin, McCarthy termine son discours en s'en prenant brutalement à Dean Acheson qu'il rend responsable de toutes les trahisons et le qualifie au passage de « diplomate pompeux en pantalon rayé... qui parle au peuple américain, avec un accent faussement anglais »27.

51Ainsi l'ennemi intérieur de McCarthy est une composition singulière qui s'inscrit pourtant parfaitement dans les jeux rhétoriques qui se sont construits au gré de l'évolution des rapports de forces politiques aux débuts des années cinquante aux Etats-Unis autour des questions qui émergent de la structure des perceptions de la situation internationale.

Les contraintes sur l'exécutif et leur rôle dans la construction de la menace

52Les partisans de « l'Asie d'abord » vont donc mettre tout au long des années cinquante l'exécutif sur la défensive. Ils négocient pied à pied des aides à Taiwan en échange de l'approbation des crédits toujours en hausse pour l'Europe.

  • 28  Voir sur ce point la récente biographie de Dean Acheson : James Chace, Acheson, The Secretary of S (...)
  • 29  Dean Acheson, lettre de transmision du livre blanc sur les relations des États-Unis avec la Chine, (...)

53Pendant de longues années, le Département d'Etat ne se sentira pas les coudées franches dans sa politique asiatique. Après l'arrivée des communistes au pouvoir en Chine, les diplomates comprennent brutalement que de nombreux membres du Congrès et pas seulement des républicains sont près à interpréter toute initiative américaine dans cette région comme une nouvelle preuve d'abandon sinon de trahison. Pour cela, il semble tactiquement prudent de ne pas faire trop de vagues. Selon le mot d'Acheson il s'agit de « laisser retomber la poussière ». On diffère surtout la reconnaissance de la République Populaire de Chine et son admission à l'ONU. Néanmoins, les historiens confirment formellement aujourd'hui qu'elle est sérieusement envisagée au Département d'Etat avant que n'éclate en juin 1950 la guerre de Corée28. Dean Acheson y étant clairement favorable en vue d'éviter que la Chine ne tombe complètement du côté soviétique. Des signaux sont adressés dans ce sens en direction de Pékin. En janvier 1950, il fait à mots couverts comprendre que rien ne sera fait pour défendre Taiwan en cas de conflit avec la R.P.C. Mais ses intentions ne se reflètent que très partiellement dans le discours officiel dominant et dans les actes. Dès août 1949 si d'un côté Dean Acheson justifie, contre les conservateurs républicains, la politique américaine menée en Chine depuis 1944 en affirmant que « la guerre civile en Chine et son résultat étaient hors de contrôle du gouvernement américain » et que « rien que ce pays ait fait ou ait pu faire dans les limites raisonnables de ses capacités ne pouvait changer ce résultat » ; d'un autre, face à un Congrès agressif, il endosse l'affirmation conventionnelle selon laquelle les dirigeants chinois ont résolument choisi de faire de la Chine un satellite de l'Union Soviétique29. La recherche à tout prix d'un compromis bipartisan se concrétisera également par la nomination du très conservateur républicain Foster Dulles comme conseiller spécial sur l'Asie au Département d'Etat.

54Mais une autre interprétation est faite aujourd'hui par des spécialistes de l'histoire des relations internationales. Le durcissement de la politique asiatique du Département d'Etat au début des années cinquante qui aboutit à l'engagement en Corée n'est pas principalement un effet pervers d'une stratégie internationale pourtant résolument tournée vers l'aide à l'Europe, sauver cette stratégie supposant de donner le change au « bloc asiatique » au Congrès. La politique asiatique de cette période peut aussi être intégrée dans une transformation plus globale de stratégie américaine dans le cadre de la guerre froide.

La dramatisation des enjeux par l'exécutif

  • 30  Voir pour les différentes interprétations de la NSC 68, Ernest R. May, American Cold War Strategy, (...)

55En effet au printemps 1950 la guerre froide va rentrer dans une phase décisive. Une résolution du Conseil National de Sécurité, la résolution dites NSC 68, recommande « pour ne pas perdre la guerre froide » un accroissement considérable des dépenses militaires. Ainsi de 1950 à 1951 elles passeront effectivement de 13 milliards à 60 milliards de dollars30.

  • 31  Voir pour cette thèse, Thomas J. Christensen, Useful Adversaries, Grand Strategy, Domestic Mobiliz (...)
  • 32  Voir Rovere sur ce point.

56L'exécutif est alors conduit à faire de la menace communiste une arme pour vendre sa nouvelle stratégie internationale à un Congrès peu enclin à renouer comme on l'a vu avec la politique bipartisane de l'ère Roosevelt. Il doit dramatiser singulièrement les enjeux pour faire adopter l'augmentation des crédits militaires. Il doit pour cela faire campagne pour mobiliser la classe politique et l'opinion publique. Au-delà des responsabilités soviétiques dans l'accroissement des tensions, les Etats-Unis durcissent le ton de la guerre froide aussi bien sur le front asiatique qu'européen. Dans ce sens, la Chine devient conjecturalement un « adversaire utile » pour les dirigeants américains sur le plan intérieur. La Chine joue alors fort opportunément le rôle de menace communiste31. Elle le fait avec une certaine application en envoyant des « volontaires » en Corée. C'est aussi pour l'exécutif une façon de prendre à leur propre jeu les partisans de « l'Asie d'abord ». En effet, ils se recrutent dans les milieux traditionnellement isolationnistes et réticents à l'idée d'un accroissement du budget fédéral. On trouve là un argument pour les mobiliser, même s'ils révèlent vite leur véritable pente lorsque la guerre de Corée s'enlise. Ils demandent alors dans le même mouvement que l'on en finisse définitivement avec la Chine communiste et que les « boys » rentrent au plus vite à la maison. Dans cette logique, McCarthy dénonce alors la guerre de Corée. Il y voit une preuve supplémentaire du complot visant à faire diversion dans la lutte contre l'ennemi intérieur32.

La peur du « rouge » et l'adoption d'un dispositif législatif répressif sur la sécurité intérieure au début des années cinquante

  • 33  Voir sur la répression David Caute, The Great Fear, 1978 ; Victor Navasky, Naming Names, New York, (...)

57Pour tout dire les responsables effectifs de la politique étrangère américaine apportent au début des années cinquante une contribution décisive dans l'instauration du climat d'hystérie anti-communiste qui sévit aux Etats-Unis pendant cette période. Ils font monter les enchères pour surmonter les résistances politiciennes d'un Congrès non moins anti-communiste. Les médias et l'opinion sont dans le même temps particulièrement sensibilisés et mobilisés. La « peur du rouge » bat son plein. Alors que les Etats-Unis ne sont pas clairement et immédiatement menacés d'invasion, on porte les soupçons sur un invisible et omniprésent ennemi intérieur. L'établissement de listes noires se généralise à tous les secteurs d'activités professionnelles. Les dénonciations pleuvent et sont régulièrement publiées par des officines privées spécialisées ainsi que par certains journaux. Chaque jour apporte son lot de nouvelles sensationnelles sur l'arrestation d'espions et le déroulement de procès spectaculaires qui donnent une consistance aux pires craintes de subversion. En 1951 la Commission sur les Activités Anti-Américaines du Congrès (UHAC) redouble d'ardeur et relance la chasse à la sorcière à Hollywood33. En janvier 1950, Alger Hiss est condamné à cinq ans de prison pour espionnage. En juin 1951, la Cour Suprême confirme la condamnation à diverses peines de prison de 11 dirigeants du parti communiste américain dans l'arrêt Dennis v. United States. Elle entérine ainsi la constitutionalité de l'application en temps de paix du Smith Actde 1940 qui visait à réprimer « toute conspiration ou toute tentative de renversement du gouvernement par la force ». Les Rosenberg sont arrêtés en 1950, condamnés à mort en avril 1951 et exécutés le 19 juin 1953.

  • 34  Sur son application, voir Ellen Schrecker, « Immigration and Internal Security : Deportations duri (...)
  • 35  Voir, William RTanner & Robert Griffith, « Légillative Politics and " McCartyism " : The internal (...)

58Pour sa part le Congrès participe activement à l'émotion anti-communiste en renforçant le dispositif législatif de lutte contre la « subversion intérieure ». Il adopte notamment en septembre 1950 à l'initiative du sénateur McCarran la loi sur la sécurité intérieure (Internal Security Act). Celle-ci est la première à organiser précisément le contrôle des organisations communistes et des communistes individuellement. Elle leur impose un enregistrement volontaire auprès du ministère de la justice, étend les interdictions professionnelles aux entreprises privées travaillant pour l'armée et interdit l'entrée sur le territoire américain des étrangers « appartenant, ayant appartenu à des organisations subversives » (communistes entre autres). Elle prévoit aussi la possibilité de déporter en cas d'urgence les communistes dûment recensés. Ce dispositif est complété en 1952 par la loi dite McCarran-Walter sur l'immigration et la nationalité (Immigration and nationality Act) qui rend plus difficile les conditions d'immigration et de naturalisation et élargit les possibilités de déportation des « éléments subversifs »34. Le président Truman eut alors beau jeu au nom des libertés fondamentales d'opposer successivement son veto à ces deux lois. Comble d'ironie, après un compromis entre républicains et démocrates le contenu de la première fut aggravé35. Il sera parachevé en 1954 sous Eisenhower, par un Congrès républicain, par la loi sur le contrôle du communisme (Communist Control Act). Cette loi prive finalement les communistes des droits dont jouit tout citoyen américain. Elle les place avec leurs organisations quasiment hors la loi. Ce cadre législatif met alors sous surveillance les communistes. Il les rend individuellement et collectivement avec leurs organisations suspectes d'être par nature des ennemis de l'intérieur au service d'une puissance étrangère.

La construction par l'exécutif de l'ennemi intérieur

59La question communiste s'est ainsi imposée sur l'agenda politique et a été placée de 1950 à 1954 au cœur des jeux politiques structurant les relations au gré des rapports de force entre démocrates et républicains, conservateurs et libéraux, exécutif et législatif, élites et société civile. Il s'est alors formé un dispositif politique et juridique complexe construit par la peur du communisme et construisant cette même peur comme référentiel central et obsessionnel. La peur du communisme règne aussi bien sur les perceptions de l'environnement international que sur la vie politique intérieure.

60Comme on l'a dit c'est dans ce dispositif et en interaction avec lui que McCarthy trouve une opportunité, dans le vacarme et l'émotion anticommuniste, pour installer avec force publicité son théâtre au Sénat américain. Mais on doit souligner à nouveau la singularité du spectacle qu'il va chemin faisant offrir. Il rameute un public de badauds toujours plus nombreux en promettant de révéler les noms de ceux qui constituent la cinquième colonne installée au cœur du gouvernement. Comme on vient de le voir, la législation anticommuniste, qui objective l'ennemi intérieur, met sous surveillance les communistes et leurs organisations perçus comme des formes radicales de contestation à la périphérie de la société américaine. Cette législation les associe aux émigrants récents seuls susceptibles d'importer notamment d'Europe des idées subversives qui n'auraient jamais fait recette dans le nouveau monde et censés y être inconnues des « bons Américains ». On trouve cette orientation dans les vagues successives de répression qui construisirent la « peur des rouges » (Red scare) aux Etats-Unis. Cela depuis la loi de 1798 sur les étrangers et la sédition (Alien and Sedition Act) en passant par la brutale répression et déportation de masse des radicaux organisée dans les années vingt par l'Attorney général Mitchell Palmer. Les membres des organisations révolutionnaires et des syndicats, les étrangers et les immigrants de fraîche date sont toujours visés en priorité. C'est aux confins de la société civile que l'on recherche les éléments subversifs et autres anarchistes.

61Or McCarthy ne s'inscrit pas dans ce schéma de lutte contre la subversion. Comme nous l'avons vu, il lance des attaques très politiques contre l'exécutif et pour tout dire contre l'Etat savant. Il prend successivement pour cible le Département d'Etat, le président, l'armée, mais aussi les experts des questions internationales et plus généralement les intellectuels internationalistes censés avoir volontairement conseillé une politique contraire aux intérêts des Etats-Unis. Il s'acharne avec d'autres plus précisément sur les spécialistes de l'Extrême-Orient qu'il rend responsable de la « perte de la Chine ». Il n'est pas le seul à traiter en boucs émissaires les spécialistes des affaires chinoises, à s'en prendre aux messagers porteurs d'une mauvaise nouvelle au mépris de tout réalisme.

62Pourtant sa démarche est singulière. Il ne s'en tient pas, avec les partisans au Sénat de « l'Asie d'abord », à une dénonciation incantatoire qui relève somme toute de la rhétorique politique. Il y a à cela une raison. Il est progressivement et implacablement pris au piège de son propre bluff, de ses promesses répétées et solennelles de révéler les noms précis des comploteurs. Mais n'ayant jamais eu de noms à donner, comme on l'a déjà dit, il se lance dans un premier temps, pour temporiser, dans une partie de poker avec l'exécutif. Avant de livrer les fameux noms, il accuse le Département d'Etat de parfaitement les connaître et de les tenir volontairement cachés, le Département d'Etat abusant selon lui de la règle du secret qui permet à l'administration de garder confidentielles les procédures de contrôle de loyauté des fonctionnaires. Aussi ce ne serait pas à lui de révéler les noms. Il proclame avoir là précisément la preuve de la vaste conspiration, dont il ne pourra plus jamais démordre. Et c'est en cela que sa dénonciation de la « présence de communistes au gouvernement » est originale.

La question de la loyauté des fonctionnaires et le dispositif bureaucratique de lutte contre l'ennemi intérieur au cœur de l'appareil d'Etat

63Pour des raisons de pure opportunité qui s'accordent avec son goût de la publicité McCarthy dénonce le secret qui entoure les procédures destinées à traquer l'ennemi intérieur au cœur de l'appareil d'Etat.

64En effet parallèlement au dispositif législatif et légal perfectionné dans les années cinquante, il existe depuis 1947 un dispositif administratif, bureaucratique, expressément institué par un décret présidentiel de Truman (l'Executive Order 9835 du 22 mars 1947).

65Ce décret met en place un programme fédéral visant à systématiquement contrôler la loyauté des fonctionnaires fédéraux autant au moment de l'embauche qu'en cours de carrière. Il instaure dans chaque ministère (Department) une commission de contrôle de la loyauté (loyalty board) dont les décisions sont susceptibles d'un appel devant une instance centrale (loyalty review board). La procédure peut être déclenchée par une simple dénonciation. Si l'employé a le droit d'être entendu et assisté d'un conseil, il ne peut connaître le nom de son accusateur. La commission peut ensuite recommander à l'autorité administrative le licenciement pur et simple de l'agent, s'il existe de « bonnes raisons pour croire que la personne concernée est déloyale envers le gouvernement des Etats-Unis ». Les chefs d'accusation pouvant être retenus sont « le sabotage, l'espionnage, la trahison, se faire l'avocat du renversement du gouvernement par la violence, agir en vue de servir les intérêts d'un autre gouvernement ou être affilié à un groupe désigné par le ministre de la justice (l'attorney général) comme totalitaire, fasciste, communiste ou subversif ». Par ailleurs, les commissions reçoivent l'assistance du FBI qui enquête si besoin est et met à leur disposition ses dossiers. Il faut rappeler ici que c'est Roosevelt lui-même qui dès 1936 avait expressément donné à Edgar Hoover le directeur du FBI la mission générale de surveillance de l'ennemi intérieur. Il interrompait ainsi une interdiction qui avait été faite en 1924 à l'organe équivalent, de toute implication dans les affaires politiques. Hoover est donc autorisé dès 1936 à suivre les « menées subversives ... particulièrement fascistes ou communistes ».

  • 36  Voir Richard Fried, Nightmare in Red, Oxford University Press, 1990, p.51.

66En 1939 un décret présidentiel donne au FBIune mission générale de lutte contre l'espionnage et le sabotage. Il est alors instauré en son sein une division spéciale (General Intelligence division) qui établit à tout hasard des listes de personnes suspectes pouvant s'engager dans des activités de subversion, de sabotage ou d'espionnage pouvant menacer la sécurité intérieure des Etats-Unis. Il s'agit aussi bien de personnes soupçonnées d'une possible appartenance à une cinquième colonne fasciste favorable aux puissances de l'axe que de communistes. Ces listes de personnes surveillées sont dressées à toutes fins utiles. Elles pourront ensuite servir de base pour former des charges ou procéder à des arrestations ou des déportations en fonction de « l'urgence ou d'une nouvelle législation »36.

  • 37  Voir Richard M. Freeland, The Truman Doctrine and the Origins of McCarthyism, Foreign Policy, Dome (...)

67Pour certains chercheurs le programme de contrôle de la loyauté des fonctionnaires de 1947, déjà, n'aurait été mis en place que pour faire passer sur le plan intérieur le net durcissement de la guerre froide que représentait du côté américain la proclamation exactement au même moment de la « doctrine Truman »37.

La construction savante de l'ennemi intérieur

68Quoi qu'il en soit, ces deux initiatives majeures de l'exécutif prises en mars 1947 participent d'un plus vaste agencement aux dimensions aussi bien intellectuelles qu'institutionnelles. Elles consacrent alors une transformation des représentations savantes et la formation d'un nouveau référentiel qui légitime l'instauration d'un nouveau dispositif bureaucratique pour faire face aux effets intérieurs possibles d'une menace globale maintenant clairement identifiée, pensée et mise en discours : la menace du « totalitarisme communiste ».

Les origines américaines du paradigme totalitaire

  • 38  Voir Pierre Hasner, « Le totalitarisme vu de l'Ouest » in Guy Hermet (Ed.), Totalitarismes, Paris, (...)

69L'usage dans les textes juridiques du terme de totalitarisme mérite ici d'être souligné. Ainsi avant même qu'Hannah Arendt et d'autres intellectuels et chercheurs lui donne le statut de concept savant qu'on lui reconnaît ou que l'on discute encore aujourd'hui dans les débats d'idées, en philosophie ou en science politique38, le « totalitarisme » s'impose dans les discours politique et juridique aux Etats-Unis dès la fin des années trente. Il s'impose dans une période de transition qui voit progressivement une menace perçue comme majeure se substituer à une autre dans les représentations, dans les agencements politiques et juridiques et dans les pratiques bureaucratiques policières et militaires prétendant y faire face. Le passage de l'ennemi fasciste à l'ennemi communiste se construit intellectuellement aux Etats-Unis à partir de l'effacement des différences et par la confusion dans une même réprobation des idéologies et des régimes politiques s'étant révélés particulièrement meurtriers en cette première moitié du vingtième siècle sur le continent européen.

  • 39  Voir Les K. Adler & Thomas G. Paterson, « Red Fascism : The merger of Nazi Germany and Soviet Russ (...)
  • 40  Alexandre Koyré, La Cinquième Colonne, (New York, 1945), Paris, Allia, 1997.
  • 41  Voir Georges Bataille & Roger Caillois, « Confréries, ordres, sociétés secrètes, églises », (1938) (...)

70Comme on le sait le « totalitarisme » a pour vertu d'englober dans un alliage complexe les traits concrets de régimes politiques modernes d'asservissement des sociétés. Mais plus précisément, il y a une invention américaine du « totalitarisme » qui associera les images négatives du nazisme et du fascisme à celles, sur la toile de fond traditionnelle de la « peur des rouges », également négatives du communisme et du socialisme. On peut voir cette cristallisation dans les usages politiques et savants fréquents à partir du milieu des années trente des termes de « bolchevisme brun » ou de « fascisme rouge »39. Ces expressions prennent valeurs d'évidence sous la plume de journalistes ou d'intellectuels américains lors du pacte germano-soviétique. L'invasion brutale et le partage de la Pologne qui s'ensuivit en 1939 apparurent pour beaucoup d'américains comme confirmant avec éclat que les régimes nazi et soviétique se révélaient n'être que deux variantes d'une même et redoutable tyrannie. Ces régimes bâtis sur des idéologies meurtrières ne connaissent que la force. Ils s'imposent par la conquête militaire et la terreur. Ils menacent par leurs appétits l'ensemble des peuples du monde. Leur dangerosité est liée au fait qu'ils opèrent en comptant sur la faiblesse de leurs victimes. Ils ont pour pratique de s'assurer partout dans le monde d'éléments favorables à leurs entreprises de conquête jusque dans les pays les plus démocratiques. Ils comptent ainsi pour arriver à leurs fins non seulement sur leur puissance militaire mais sur le travail de sape partout d'une cinquième colonne. La cinquième colonne est bien alors, comme le dit Alexandre Koyré une espèce toute contemporaine d'ennemi intérieur40. Mais là où ce dernier ne veut voir que la conspiration d'une minorité d'individus qui pour défendre des intérêts qu'ils placent au-dessus de l'intérêt national travaillent à la défaite de leur pays, les tenants de la thèse « totalitaire » retiennent aussi que des individus certes encore une fois minoritaires se mettent au service d'une puissance étrangère pour des raisons idéologiques moins triviales pouvant aboutir aux mêmes résultats. Ainsi depuis les années vingt fascistes et communistes formeraient alors partout des associations criminelles uniquement dirigées vers la prise du pouvoir par la violence et cela, quoi qu'il en coûte. On pourrait alors voir ici une convergence avec la vision des « communautés électives » énoncée en 1938 par Georges Bataille et Roger Caillois. La « communauté élective » est l'expression d'une pure négativité. Elle est par essence une « société de complot ». La « communauté élective » ou « société secrète » est une» forme d'organisation secrète (...) à laquelle le recours est toujours possible lorsque l'organisation primaire de la société ne peut plus satisfaire toutes les aspirations qui se font jour »41. Comme en miroir, les visions schmittienne et stalinienne du politique leur répondent. Elles ne peuvent pas, sur les mêmes prémisses, s'accommoder du pluralisme.

L'adoption dès la fin des années trente d'une législation pour lutter contre la cinquième colonne

71On fera à partir des années trente dans la rhétorique politique un usage inflationniste du thème de la cinquième colonne. Avec la guerre aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis on perçoit clairement l'usage que les fascistes font de cinquième colonnes conservatrices et antipatriotiques prêtent à se jeter dans les bras de l'envahisseur. Le Norvégien Quisling en devient le synonyme. Aux Etats-Unis on adopte alors un arsenal législatif pour faire face à cette menace qui est tout hypothétique.

  • 42  Richard Fried, Nightmare in Red, op. cit., p.54.
  • 43  Ibid., pp.57-58.

72Dès 1938 la loi sur « l'enregistrement des agents de l'étranger », ou McCormick Act, prévoit le recensement par le Département d'Etat de quiconque agit ou fait de la propagande sur le territoire américain au bénéfice d'un état étranger, le Voorhis Actde 1940 organise l'enregistrement par le gouvernement de tout groupe ayant des liens avec l'étranger, la section 9A du Hatch Act de 1939 interdit l'emploi par l'administration fédérale de tout membre d'une organisation ou d'un parti se « proposant de renverser le gouvernement ». Enfin le Smith Act de 1940 ou loi sur l'enregistrement des étrangers fait un lien explicite entre la surveillance des étrangers et la lutte contre d'éventuelles conspirations visant à renverser le gouvernement des Etats-Unis par la force. En faire simplement la propagande devient au terme du Smith Act un crime passible de peines de prison. Si l'on peut douter encore aujourd'hui qu'une menace globale de subversion d'où qu'elle vienne ait jamais existé sur le sol américain, les bruits de bottes et la montée des périls en Europe en accroissent pourtant la crédibilité. Ainsi un courant isolationniste et nationaliste puissant existe. Le mouvement de l'« Amérique d'abord » (America First) est influent au Congrès. Il rallie, dès les années vingt, les nativistes hostiles aux immigrants de fraîche date venus d'Europe mais ainsi tous les rebelles à l'impôt et au pouvoir fédéral. Animé par le populiste La Follette et le héros de l'aviation Charles Lindbergh il forme jusqu'à Pearl Harbor un courant très actif, violemment isolationniste, pro-allemand et ouvertement antisémite. En 1938 un réseau d'espionnage nazi est démantelé. Après le pacte germano-soviétique, les communistes américains sont associés dans la même suspicion. La répression s'abat à nouveau sur le parti communiste et les organisations qui lui sont proches. Richard Fried rapporte qu'en 1940, « 350 communistes sont arrêtés dans 13 Etats »42. Pendant la guerre, la défiance s'installe contre des communautés entières. Les Allemands et surtout les Japonais des Etats-Unis seront surveillés et internés en masse dans des camps ou déportés. On prendra aussi l'habitude de voir dans des concurrents idéologiques une cinquième colonne. Ironie de l'histoire, le parti communiste américain sauvé par l'invasion allemande de l'Union Soviétique de 1941 se félicite alors bruyamment de l'inculpation au terme du Smith Act de 18 dirigeants duSocialist Workers Party,minuscule organisation antistalinienne. Enfin lors des élections présidentielles de 1944 qui vit la dernière réélection de Roosevelt, les adversaires feront un grand usage rhétorique de l'ennemi intérieur. Démocrates et républicains s'accusant respectivement d'être ou d'avoir été, plus ou moins virtuellement, au choix des préférences de chacun, une cinquième colonne au service de la réaction, du fascisme ou du communisme international43.

73Mais le paradigme « totalitaire » confirme aussi pour ses promoteurs l'exception américaine qui veut qu'il soit plus vrai encore aux Etats-Unis que partout ailleurs que le fascisme et le communisme ne trouvent pas naturellement un terrain propice à leurs entreprises pour des raisons sociologiques tenant à la faiblesse des distinctions sociales qu'il serait impossible d'exploiter sauf à compter de façon décisive sur l'intervention de puissances étrangères qu'il s'agisse de celles de l'axe pendant la guerre ou de l'Union Soviétique avec la guerre froide. En clair, fascistes et communistes, leurs compagnons de routes et tous les tenants des idéologies européennes ne peuvent être pensés dans le cadre américain, du moins si l'on s'en tient à la thèse « totalitaire », que comme des ennemis de l'intérieur en pratique ou en puissance selon les circonstances liées à la conjoncture internationale du moment.

De l’usage rhétorique de la « cinquième colonne » dans les luttes politiques où, avec l'entrée dans la guerre froide, les intellectuels de gauche se déchirent

  • 44  Voir sur ce point, Richard H. Pells, The liberal Mind in a Conservative Age, American Intellectual (...)

74Cette thèse est mise en discours par les intellectuels néo-libéraux américains qui dès la fin de 1945 apporteront leur soutien à la politique anticommuniste internationale et intérieure de l'exécutif menée par Truman. Elle se construit dans les débats politiques qui déchirent alors la gauche américaine44. Les néo-libéraux s'opposent aux libéraux dits « frontistes » qui prétendent rester fidèles à la politique - dont Roosevelt est maintenant devenu le symbole - qui rassembla l'ensemble des forces de gauche dans l'effort de guerre, communistes compris. La question à l'ordre du jour à gauche est maintenant, fin 1945, celle de l'attitude à adopter à l'égard de l'Union Soviétique.

  • 45  Editorial de Partisan Review, « The " Liberal " fifth column », été 1946, p.179.
  • 46  Ibid., p.290.

75Le débat intellectuel se structure dans une violente polémique entre d'un côté les revues new-yorkaises de gauche passées à l'anticommunisme Partisanet Commentary et de l'autre les journaux de la presse de gauche « frontistes ». Dans sa livraison de l'été 1946 un éditorial de Partisan Review intitulé « la cinquième colonne " libérale " » (« The " liberal " fifth column ») les dénonce ainsi : « nous avons parmi nous un puissantlobbyd'expression disposé à sacrifier aux intérêts d'une puissance étrangère toute convenance et tout souci de démocratie internationale. L'infection trouve son foyer dans les journaux libéraux PM, The Nationet The New Republic. Dans la mesure où le service de cette puissance étrangère y est devenu une fin en soi exclusive, ce lobby (...) fonctionne comme une cinquième colonne virtuelle »45. Et de préciser : « Les " libéraux " peuvent seulement être compris comme des patriotes russes. Pour cela nous les appelons cinquième colonne. Nous ne voulons pas dire par là qu'ils sont officiellement reconnus et payés par cette puissance étrangère ; ni quel est le terme du contrat qui les lie. Leurs services sont probablement à la fois spontanés et " purs ". Mais cela ne diminue en rien leur culpabilité. (...) Nous sommes depuis longtemps avertis du fait que le parti communiste est une cinquième colonne, dans la mesure où il n'affiche pas d'autre but à son action que de servir l'Union Soviétique. Les " libéraux " sont devenus une cinquième colonne plus efficace et plus dangereuse en réussissant à tromper beaucoup plus de monde »46.

  • 47  Ibid., p.293.
  • 48  Ibid., p.292.

76La conclusion est péremptoire : « N'ayant aucune faiblesse pour aucun totalitaire de par le monde, nous voulons affirmer qu'il n'y a pas de compromis possible avec le totalitarisme »47. Cette rhétorique anticommuniste, dite néo-libérale marie discours politique et discours savant. Elle met au service d'un engagement politique des arguments qui se réclament d'un savoir censé être à même de convaincre des adversaires situés dans un champ de connaissances réglées commun, une même épistémè. Il s'agit d'une querelle de famille. Sa valeur polémique tient au " dire vrai " dont elle se réclame et susceptible d'être entendu par ceux auquels elle s'adresse. Ainsi c'est très logiquement que l'article précédemment cité et qui date rappelons-le de 1946, soit quatre ans avant que quiconque ait entendu parler de Joseph McCarthy, formule en direction de ceux qu'il qualifie de « libéraux » avec des guillemets, le sinistre avertissement suivant en forme de menace : « Aussi quel bénéfice les " libéraux " comptent-ils tirer de leur soutien frénétique à la Russie, sinon leur propre mort politique ? Une victoire à l'échelle mondiale de Staline signifierait leur extinction immédiate. D'un autre côté ils pourraient bien être les premières victimes d'une terreur de droite si tant est que l'opinion publique américaine devienne solidement mobilisée contre les agressions russes. Un tel mouvement de masse en Amérique est condamné à tomber dans des mains réactionnaires, les "libéraux " n'ayant jamais réussi à affirmer leur direction sur les masses. Dans une situation d'aggravation et d'extension du conflit entre l'Amérique et la Russie, les communistes devront être traités pour ce qu'ils sont, des agents de l'étranger patentés, mais les réactionnaires qui ne brillent pas par leur subtilité ont toujours été aveugles à la différence entre les amis roses et les amis rouges de la Russie. Et la réaction, si cela arrive, serait à même d'étouffer toutes les libertés politiques et peut-être même porter un coup sévère aux libertés civiles. Si certains " libéraux " veulent vraiment creuser leur propre tombe, cela les regarde. Mais il faut espérer qu'ils n'entraînent pas dans leur ruine ceux qui sont sincèrement attachés aux valeurs qui constituent l'essence de la tradition libérale »48.

77Cette rhétorique, qui est tenue par les intellectuels néo-libéraux, est alors, en 1946, mise au service d'une lutte politique majeure et bien réelle à gauche. En cela elle est autant une construction savante que politique de l'ennemi intérieur.

Après l'élection de 1948 le Parti communiste américain est définitivement marginalisé

  • 49  Ellen Schrecker, Many are the Crimes, Mccarthyism in America, New York, Little, Brown and Company, (...)
  • 50  Voir l'ouvrage des historiens, Harvey Klehr, John Earl Haynes & Fridrikh Igorevich Firsov, The Sec (...)

78Cette lutte trouvera d'ailleurs une sanction effective décisive en 1948 avec la victoire inespérée de Truman à la présidence auquel la gauche anticommuniste s'est ralliée sans trop d'enthousiasme. Mais surtout le score très médiocre du candidat « progressiste » George Wallace, ancien vice-président de Roosevelt et dissident du Parti démocrate sur lequel s'étaient reportés tous les espoirs de la gauche « frontiste » écarte définitivement le Parti communiste du jeu politique américain. A partir de cette date, l'influence du parti communiste américain devient pratiquement nulle. Sa marginalisation est sans appel. Si la répression qui le frappe alors y concourt, il y a lui-même, par sa stratégie (causes et effets se confondant) contribué. Rappelé à l'ordre par Jacques Duclos en avril 1945, dès cette date, il se coupe s'il en était encore besoin de la société américaine par un soutien sans failles de la politique internationale de Staline. En juin 1945 Earl Browder et les éléments les plus engagés dans une stratégie d'« union à gauche » sont purgés de sa direction et dénoncés comme ... traîtres au parti etennemis de l'intérieur. Ses effectifs vont alors fondre et Hoover peut se flatter quelques années plus tard de l'avoir maintenu à un certain seuil par l'infiltration massive et systématique d'agents du FBI. C'est donc à bon droit qu'aujourd'hui l'historienne Ellen Schrecker49 peut gloser sur le manque notamment sur le plan social qu'a pu représenter selon elle la volatilisation de toute influence aux Etats-Unis du parti communiste à la fin des années quarante. De même, un peu malgré eux, les historiens révisionnistes, qui tentent à partir de l'ouverture récente des archives du KGB de montrer que l'infiltration, par des agents soviétiques, du gouvernement américain avait bien eu une réalité et par là de redonner rétrospectivement du sérieux aux accusations d'un McCarthy, confirment que, dès 1945, date coïncidant avec la fin de toute coopération entre les deux puissances et le déchiffrage par la CIA du code utilisé par les espions soviétiques, les activités de ces derniers ont été pour l'essentiel effectivement neutralisées50. En clair, on peut dire avec une quasi certitude aujourd'hui, que dans tous les sens du terme, la menace communiste à l'intérieur des Etats-Unis - si elle a jamais existé - est en 1950, au moment où McCarthy va enfin et seulement faire son entrée en scène fracassante, totalement nulle. Paradoxalement, le communisme n'est plus, aux Etats-Unis même, qu'un fantôme, qu'un spectre lorsque sa présence commefigure de l'ennemi intérieur vient non seulement hanter mais articuler le discours politique, notamment dans le pathos boursouflé de McCarthy et d'autres, instruisant les stratégies des acteurs dans les luttes politiques obsessionellement centrées sur la « question communiste », formant alors avec des pratiques répressives sans précédent un dispositif construit sur la peur qui légitime en retour ce même discours.

McCarthy et les savants

  • 51  Richard Hofstadter, The Paranoid Style in American Politics, (1964), Cambridge, Harvard University (...)

79Le « style paranoïaque » pris par la politique américaine en ces années-là si l'on s'en tient à la formule d'Hofstadter n'est-il pas propre à la démarche scientifique que McCarthy s'ingénie à singer ? Hofstadter ironise à bon droit sur le côté « savant en technique » des démonstrations de McCarthy dont la brochure McCarthyism,dont nous avons parlé, « ne contient pas moins de 313 notes ». Dans les spectacles qu'il offre au public américain il prend le rôle du chercheur qui après « une accumulation prudente des faits, ou du moins de ce qui semble être les faits, traite ces faits comme " preuves " d'un complot qu'il fallait établir »51.

  • 52  Voir Sigmond Diamond, Compromised Campus : The collaboration of University with intelligence Commm (...)
  • 53  Voir Herbert Packer, Ex-Communist Witnesses, Stanford, Stanford University Press, 1962.

80Qui plus est la quasi-absence de communistes aux Etats-Unis suppose un flair tout particulier pour les découvrir. Il faut faire appel à des professionnels, des experts, des savants. Il faut pour cela former des spécialistes en communisme et mettre à contribution les universités et les fondations52. Les mieux à même de jouer ce rôle, les meilleurs connaisseurs en matière de communisme dont on exploitera le « précieux savoir » sont des ex-communistes53. Ils sont considérés comme étant revenus d'une contrée peuplée de bodysnatchers dont on est censé ne jamais revenir. Ils seront inlassablement sollicités devant les différentes commissions et par McCarthy lui-même. Jusqu'à ce que certains se rétractent et confessent qu'ils avaient été de bout en bout manipulés. Hoover s'emploie aussi à former des experts en la matière.

  • 54  « Donner des noms » est un rituel auquel est contrainte de sacrifier toute personne appelée à témo (...)
  • 55  David Oshinsky, A Conspiracy so immense, p.145 et Robert P. Newman, Owen Lattimore and the " Loss (...)

81Mais McCarthy propose dans des shows de les exposer devant un public qui de sa vie dans sa grande majorité n'a jamais rencontré de communistes et n'en rencontrera sans doute jamais, bien que le soupçon finisse par s'étendre à tous. Il propose ni plus ni moins de montrer des aliens, des extraterrestres qui se font passer pour de bons américains ou mieux qui se sont déguisés en savant, en expert et se sont infiltrés jusqu'au cœur du gouvernement, expliquant ainsi à peu de frais les revers du moment de la politique étrangère américaine. Ainsi, le 21 mars 1950, pressé par la commission Tydings de révéler enfin des noms crédibles d'espions, il annonce à la presse qu'il va nommer, « le chef de tous les agents russes » aux Etats-Unis. Ironiquement, McCarthy s'est constamment placé dans la position d'être lui-même sommé de donner des noms54. Il lâche, après une rencontre le 23 mars avec l'homme du lobby chinois Alfred Koldberg, faute de mieux, le nom du sinologue Owen Lattimore. « Avec celui-là je joue mon va-tout » affirme-t-il. Le 30 mars, il prétend devant la commission du Sénat présenter les preuves accablantes de la culpabilité de Lattimore. Comme l'écrit David Oshinsky il se lance alors dans un discours « gonflé d'un jargon faussement savant et de détails historiques » parodie étrange du savoir sinologique de celui qu'il accuse. Dans une envolée lyrique qui frappe de stupéfaction le public il proclame, solennel : « Vous pouvez demander à n'importe quel écolier américain qui est l'architecte de notre politique en Extrême-Orient, il vous répondra : Owen Lattimore »55. La stupéfaction est due au fait que le nom de Lattimore n'est guère connu au-delà du cercle réduit des spécialistes de l'Asie. Plus encore, il n'a que très occasionnellement pendant la guerre travaillé pour le gouvernement et n'a jamais appartenu au Département d'Etat. Ainsi ce jour-là il invente de toutes pièces Lattimore commeennemi de l'intérieur. N'ayant jamais rien eu à révéler, McCarthy ne sortira jamais de ce rôle parodique. Sur un mode tragi-comique, il se livre à des simulacres d'enquêtes. Il mêle dans son jeu les rôles de policier et de chercheur.

  • 56  Owen Lattimore, Ordeal by Slander, Boston, Little, Brown & Company, 1950.

82Il révèle ainsi pleinement le fait que traiter quelqu'un comme un ennemi de l'intérieur ou comme appartenant à une cinquième colonne a une parenté avec l'assujettissement par le savoir. Il s'agit toujours de prendre possession de l'autre. Mais on l'a vu, ceux auxquels il s'en prend principalement ne sont pas de toute évidence des communistes. Ses accusations relèvent donc aussi d'un procédé rhétorique assez banal dans le discours politique que l'on peut qualifier de symbolique. Il consiste à étendre par contamination à d'autres l'opprobre dans lequel est tenu pour chacun certaines personnes ou catégories. Le maniement de l'ennemi intérieurest équivalent au maniement de l'insulte. On traite quelqu'un d'être ce pour quoi généralement on ne veut pas passer. La rhétorique utilisée par McCarthy n'est tout simplement possible que parce que les communistes forment alors aux Etats-Unis une catégorie de personnes identifiée par tous comme négative, plus banalement parce que le terme communiste est devenu insulte et qu'il existe sur ce point un consensus assez fort, que cela est de l'ordre de l'évidence. Lattimore en portera témoignage par son comportement. Pour justifier sa rencontre en 1937 avec Mao et d'autres dirigeants communistes, il se croira tenu de dire que, comme savant, il se doit de prendre des risques qui peuvent même aller jusqu'à fréquenter des communistes pour des raisons purement professionnelles56. Le contexte de sa « mise en accusation » le met dans l'impossibilité de défendre ses opinions passées effectivement assez radicales. Qui plus est la rencontre ne constituait pas un délit et n'était en rien contraire à l'intérêt des Etats-Unis au moment où le Japon envahissait la Chine. Mais l'attitude de Lattimore révèle aussi qu'il ne s'agit pas pour autant d'une plaisanterie, que le climat de terreur et la nature de l'accusation, une affaire de trahison, si peu fondée soit-elle, l'oblige à jouer serré. Et que, si la justice s'empare de l'affaire et que les charges sont retenues ou même simplement que le soupçon demeure cela reviendra à son exclusion de la communauté nationale, sa mise au ban de la Nation, ainsi qu'accessoirement de la communauté scientifique. C'est au bout du compte ce qui se produira. Owen Lattimore s'exilera par la suite définitivement en Angleterre.

Les intellectuels anticommunistes voient en McCarthy un ennemi intime

  • 57  Voir la critique décisive de Michael Rogin de l'interprétation néolibérale du mccarthysme comme po (...)

83Les intellectuels anticommunistes néo-libéraux sont les premiers à avoir une intelligence certaine du décalage propre à cette réalité insolite. Leur prédiction évoquée plus haut semble s'être réalisée. La plupart d'entre eux voient très vite en McCarthy un double grotesque proposant une monstrueuse contrefaçon de leurs idées. Ils le construisent comme ennemi intime, leur persécuteur attitré, tant ils ont rapidement le sentiment d'être collectivement et principalement sa cible. Ils reconnaissent dans l'ennemi intérieur que McCarthy a fabriqué un double idéalisé d'eux-mêmes dans les habits de l'intellectuel organique, de l'expert proche du pouvoir57. McCarthy est à leur sens l'ultime avatar du populisme et du radicalisme américain dont ils veulent se distinguer.

  • 58  Arthur M. Schlesinger, Jr., The Vital Center, The Politics of Freedom (1949), New York, A da capo (...)
  • 59  Ibid., p.201.
  • 60  Ibid., p.213.
  • 61  Daniel Bell, The End of Ideology, (1960), Cambridge, Harvard University Press, 1988, p.123.
  • 62  Richard Hofstadter, The Paranoid Style in American Politics, op. cit., p.63.

84D'abord ils s'inquiètent de l'extension du soupçon bien au-delà du strict cercle des membres effectifs et actifs du parti communiste. En effet, ils maintiennent leur analyse sur la réalité de la menace que constitue selon eux le parti communiste américain, qui ne saurait jamais être considéré, comme tous les autres partis communistes dans le monde, autrement que comme l'agent d'une puissance étrangère, une cinquième colonne. C'est là une affaire entendue. Ainsi, aussi bien les politistes Arthur Schlesinger Jr., Daniel Bell que l'historien Richard Hofstadter par exemple, le rappelleront rituellement, en en faisant un point absolu de convergence et de reconnaissance dans des dispositifs conceptuels, des approches et des champs de savoir parfois hétérogènes les uns aux autres. Arthur Schlesinger écrit en 1949 dans son ouvrage décisif Le Centre vital : « La botte secrète soviétique réside dans la cinquième colonne ; et la cinquième colonne repose sur les partis communistes locaux »58. Il apporte sa caution à la politique de sécurité intérieure de Truman car dit-il, « nous sommes confrontés avec l'expansion d'un impitoyable totalitarisme à l'extérieur et avec la propagation chez nous d'opinions qui pourraient bien ébranler notre foi et saper nos capacités de résistance à la tyrannie étrangère. Une minorité fanatique est engagée dans une cruelle conspiration visant à en finir pour toujours avec la conception d'ensemble d'une société reposant sur la libre discussion »59. Pour lui, « Il ne fait guère de doute que l'URSS, à travers le parti communiste américain et les organisations frontistes communistes, a demandé à des agents d'infiltrer les branches " sensibles " du gouvernement, comme le Département d'Etat, le département de la Défense et la Commission à l'Energie Atomique »60. Daniel Bell affirme pour sa part en 1955 : « En tant que conspiration, plutôt que comme groupe contestataire légitime, le mouvement communiste demeure une menace contre la société démocratique. Et face à un " danger clair et immédiat " la société démocratique peut à l'occasion agir contre cette conspiration »61. En 1954, Hofstadter reconnaît aussi la réalité de la menace communiste dans les termes suivants : « Dans notre propre pays, l'espionnage a été une réalité, et le laxisme en matière de sécurité a permis à certains espions de parvenir à de hautes fonctions ». Mais ils dénoncent dans le même mouvement l'exploitation « mélodramatique » qu'en fit le « pseudo conservateur » McCarthy62.

  • 63  Daniel Bell, The End of Ideology, op. cit., p301.
  • 64  David Riesman, Nathan Glazer, Denny Reuel, The Lonely Crowd : A study of the changing american car (...)
  • 65  Ibid., p.313.
  • 66  Ibid., p.302.
  • 67  Voir les relations entre la guerre froide, l'université et les intellectuels in Noam Chomsky, Ira (...)

85En effet, pour les néo-libéraux, l'ennemi principal est extérieur. C'est l'Union Soviétique, puissance totalitaire majeure encore active, dont la politique, considérée comme agressive, menace selon l'expression consacrée le « monde libre ». Et c'est un élément convergent de leur analyse qui veut que sur le plan intérieur, aux Etats-Unis mêmes, la menace soit très marginale. C'est même un élément théorique structurant de leur pensée. Elle est centrale dans la mise en discours des justifications qu'ils apportent aux transformations décisives intervenues à l'époque dans leurs vies personnelles. Pour beaucoup ces transformations résident dans l'abandon des engagements idéologiques de leur jeunesse. Ils les présentent comme des conversions, de « nouvelles naissances », comme « la fin de l'innocence ». C'est tout l'objet de la fin de l'idéologie. Daniel Bell constate qu'aux Etats-Unis il n'y a plus de place pour le radicalisme. Ou peut-être n'y en a-t-il jamais vraiment eu, comme l'affirment à l'époque des historiens qui entreprennent alors de réviser la tradition critique et classiste de l'histoire sociale américaine d'un Charles Beard. La nouvelle génération depuis la fin de la guerre n'a plus de cause à défendre et est incapable de se définir un « ennemi ». Daniel Bell se demande alors : « Aujourd'hui, intellectuellement, émotionnellement, qui est l'ennemi que l'on puisse combattre ? »63. Il n'y a pas plus de place dans la société américaine pour le radicalisme que pour des ennemis intérieurssérieux, tout au plus pour des adversaires politiques, ce à quoi il souscrit. Le caractère savant du propos tient dans le fait qu'il présente cela en 1959 comme un constat et non comme un souhait. Car son sentiment face à cette « réalité » est mitigé. D'un côté on peut se féliciter du fait que les risques de totalitarisme aux Etats-Unis aient toujours été négligeables. Mais d'un autre on peut difficilement se satisfaire d'une société qui n'est qu'une foule solitaire(Lonely Crowd)64, une société de consommation de masse livrée aux publicitaires et aux entrepreneurs de spectacles où l'individualisme et le plus grand conformisme se conjuguent. Il n'y a plus guère en effet d'espace dans une telle société pour la contestation ou la révolte. La seule forme de radicalisme qui malheureusement s'y manifeste ne peut ressembler comme le Maccarthysme qu'aux « cris d'idiots de village »contre la» civilisation urbaine et ses libertés »65. Pour Daniel Bell, on le comprend, la contestation radicale n'est donc plus de mise dans une société moderne comme la société américaine. L'intellectuel tend à se transformer en chercheur, le penseur en universitaire ; la vie de bohème cède la place à la rigueur et à la « routine au jour le jour »66 de la recherche, l'éthique de conviction s'efface devant l'éthique de responsabilité, le savoir est mobilisé au service de l'intérêt national à un moment où les Etats-Unis ont dans la lutte contre le « totalitarisme soviétique » un rôle décisif à jouer67.

  • 68  Ibid., p.111.
  • 69  Peter Viereck, The Unadjusted Man, Boston, The Beacon Press, 1956, p.177.

86Pour les intellectuels néo-libéraux, McCarthy est en fait un « pseudo anticommuniste », que l'on peut situer dans la tradition radicale populiste américaine. Pour eux, il représente avant tout l'alliance dans le ressentiment du sous-prolétariat des grandes villes, des nouveaux riches de l'Amérique profonde et de certaines minorités religieuses et ethniques comme les catholiques, les Irlandais et les Allemands en mal de reconnaissance de leur « américanité » - surtout après la seconde guerre mondiale - contre « les intellectuels, particulièrement ceux d'Harvard, les anglophiles, les internationalistes et l'armée »68. Pour reprendre la formule de Peter Viereck, c'est « l'alliance de la vieille misère et de la nouvelle richesse contre les élites », (Old Slums Plus New Rich : The alliance against the Elite)69. Dans cette perspective, McCarthy mène ainsi une tentative désespérée pour rameuter la populace contre les élites régnantes en dénonçant frauduleusement ces dernières comme ennemis de l'intérieur.

  • 70  Voir Richard Hofstadter, Anti-intellectulism in American life, New York, Borzoi, 1963.
  • 71  Voir Stephen E. Ambrose, Rise to Globalism, American Foreign Policy Since 1938, Penguin Books, 198 (...)
  • 72  Voir sur ce thème Gabriel Almond, American People and Foreign Policy, Harcourt, Brace and Company, (...)

87Cette identification de McCarthy à l'anti-intellectualisme70 par d'autres acteurs du moment, trouve une traduction plus actuelle chez des auteurs qui inscrivent aujourd'hui le maccarthysme dans une longue tradition de réaction nationaliste, une cause toujours perdue d'avance, contre la globalisation et la mondialisation dont les spécialistes et les experts des questions internationales proches du pouvoir établi seraient depuis longtemps les meilleurs interprètes71. On peut aussi voir à l'origine des thèses réalistes, chez les théoriciens des relations internationales, une façon de prendre acte du fossé grandissant qui séparerait ces mêmes experts, maîtres d'œuvre des « grandes stratégies » internationales, et la société américaine. Une situation qu'au Congrès les politiciens comme McCarthy seront toujours prêts à exploiter en criant à la trahison par les experts des intérêts fondamentaux du pays72.

  • 73  Leslie A. Fiedler, « McCarthy », Encounter, Vol.III, n° 2, août 1954, p.17.
  • 74  Stuart Hughes, « Why We Had No Deryfus Case », The American Scholar, Vol30, n° 4, Autumn 1961.

88McCarthy a pu aussi apparaître comme le fruit d'une collision imprévue entre une construction savante et une construction politique de l'ennemi intérieur. Ainsi un auteur néo-libéral s'indigna-t-il de l'usage « symbolique » éhonté fait par McCarthy du passé militant de certain intellectuels : « Ils se trouvèrent devant un terrible dilemme ; étant donné l'écart entre leurs valeurs et celles d'un plus vaste public, il ne purent toujours rester sereins sans donner l'impression de confesser une culpabilité qu'ils ne ressentaient pas ; et étant donnée leur propre moralité ils ne pouvaient pas badiner avec la vérité sans éprouver un sentiment de culpabilité pour une faute qu'ils ne pouvaient confesser »73. Ce à quoi l'historien Stuart Hughes pouvait répondre qu'il n'y a pas forcément conflit entre vérité et rhétorique politique dans la mesure où une cause est bonne en elle-même comme l'affaire Dreyfus l'avait montré74.

89Or les intellectuels néo-libéraux américains ne se trouvèrent jamais, et pour cause, dans la position de faire de la défense résolue des victimes du maccarthysme, une cause politique.

90On peut donc à bon droit parler d'un cas McCarthy comme d'un usage politique obsessionnel et paradigmatique de l'ennemi intérieur.

  • 75  Voir Richard M. Fried, The McCarthy era in perspective, Nightmare in red, New York, Oxford Univers (...)

91Si l'on a ensuite pris l'habitude de justement voir dans le maccarthysme un phénomène plus profond et plus global dépassant largement la courte période de quatre années au cours de laquelle sévit effectivement McCarthy, il n'en reste pas moins qu'une transformation décisive du climat politique et intellectuel intervint précisément pendant ces années-là, elles furent vécues comme marquées par l'entrée dans un véritable cauchemar75. Elles laissèrent à la plupart des Américains un souvenir particulièrement pénible de malaise et d'angoisse. Nombres d'événements, gesticulations de McCarthy comprises, se révélèrent par la suite avoir été de véritables traumatismes marquant à jamais leurs vies bien au-delà du cercle des victimes effectives de la chasse aux sorcières. Les sociologues David Riesman et Nathan Glazer en témoignent lorsque, dès 1955, ils font le constat de cette incontestable mutation politique et intellectuelle qui vit s'installer un climat irrespirable de peur précisément lors des années McCarthy. Ils s'interrogent sur ses causes sociales. Ils en verront, rejoignant en cela d'autres chercheurs, l'une des raisons dans la consommation du divorce, leur propre divorce, entre les intellectuels américains et les classes laissées pour compte de la prospérité économique de l'immédiat après guerre.

  • 76  Créateur en 1938 de la Commission sur les activités anti-américaines de la Chambre des représentan (...)
  • 77  David Riesman & Nathan Glazer, « The intellectuals and the discontented classes », Partisan Review (...)

92Mais nous retiendrons ici la lettre de leur constat. Il est en lui-même édifiant et paradoxal. Ils nous disent ainsi : « Même à une époque aussi avancée que le début de 1950, le ton politique particulier à l'ère Roosevelt continuait à influencer la vie publique. Il suffit de rappeler l'état d'esprit des sénateurs démocrates enquêtant sur les accusations d'infiltration communiste dans le département d'Etat proférées par McCarthy cette année-là. Les comptes rendus les montrent confiants, se gaussant des allégations de McCarthy, considérant pour acquis que le pays était de leur côté, ou du moins ne pouvait pas être ameuté contre eux, que McCarthy n'était qu'un autre Martin Dies76. Quatre ans plus tard, un autre groupe de sénateurs démocrates siègent pour juger McCarthy. Ils sont tendus et anxieux, se réfugiant sous l'aile protectrice de J. Edgar Hoover, cherchant à apparaître comme d'aussi bons chasseurs de communistes - en vérité les meilleurs républicains - que tout autres de leurs collèges »77.

93Jeux politiques et régime de vérité leur apparaissent soudain avoir donné naissance à un monstrueux agencement dominé par la peur et la méfiance allant à l'encontre de tous leurs espoirs d'ouverture et de réconciliation. Il leur semble que leur vérité a été travestie à des fins bassement politiques produisant ainsi de tragiques effets pervers. Un nouveau rapport de pouvoir aurait alors été instauré. Bien que McCarthy soit finalement défait et bien qu'il n'ait peut-être jamais été vraiment pris au sérieux par qui que ce soit, son action a coïncidé avec la perception par les intellectuels, les experts, les politiciens libéraux et internationalistes, maîtres de l'exécutif et des décisions politiques majeures notamment au plan international, d'un renversement stratégique qui les aurait isolés d'une société américaine soudain gagnée par une forme paranoïaque de nationalisme qui se serait épanouie au grand jour au Congrès et dont McCarthy aurait été le symptôme.

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Notes

1  Sénat des États-Unis, Committee on Foreign Relations, Subcommittee on State Departement Loyalty Investigations, 81st Congress, 2nd Session, 1950. On doit indiquer que le chiffre initial de 205 se transforma le lendemain en 57 pour passer ensuite à 81 et que la qualification de « communistes » se transforma selon les occasions en simple « risques pour la sécurité » (Security Risks).

2  Voir par exemple William Buckley & Brent Bozelli, McCarthy and His Ennemies, Chicago, Henry Regnery, 1954.

3  Voir sur ce personnage et plus généralement le lobby chinois, Joseph Keeley, The China Lobby man, the story of Alfred Kohlberg, New York, Arlington House, 1969 ; Ross YKoen, The China Lobby in American Politics, New York, Harper & Row, 1974 ; Charles Wertenbaker, Philip Horton, Max Ascoli, « The China lobby », Reporter, Vol.6, n° 8 et 9, avril 1952.

4  Voir sur ce point, Athan G. Theoharis et John Stuart Cox, The Boss, J. Edgar Hoover and the Great American Inquisition, Philadelphie, Temple University Press, 1988, pp.266-300.

5  Il meurt le 2 mai 1957 d'une cirrhose du foie.

6  Richard H. Rovere, Senator Joe McCarthy, (1959), Harper colophon books, 1973, p.260.

7  Michel Foucault, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p.123.

8  Richard Rovere, Senator Joe McCarthy, p.269.

9  Voir New York Time, 31 mars 1950, p.1, Titre à la une : « Truman calls 3 senators saboteurs ; Asks G.O.Pname foreign affairs aide ; M'Carthy insists he has evidence ».

10  NYT, 8 avril 1950, p.12.

11  Jack Anderson & Ronald W. May, McCarthy, the Senator, the " Ism ", Boston, The Beacon Press, 1952.

12  Intitulé exact de la brochure : McCarthyism, the fight for America, Documented answers to questions asked by friend and foe by Senator Joe McCarthy, New York, the Devin-Adair Company : publishers, 1952.

13  Joseph R. McCarthy, America's Retreat from Victory, New York, The Devin-Adair Company, 1952.

14  Ibid., p.3.

15  Ibid., p.4.

16  Ibid., p.168.

17  Voir la biographie la plus récente de David M. Oshinsky qu'il a fort judicieusement appelé : A Conspiracy so immense, the world of Joe McCarthy, New York, Free Press, 1983.

18  McCarthy, Ibid., pp.171-71. Termes soulignés par nous.

19  Ibid., p.177.

20  Ibid., p.178.

21  On n'a pas assez d'espace ici pour mener une réflexion approfondie sur la notion de « question » en science politique. Qu'est-ce qu'une « question politique » ? Comment la différencier d'un simple « problème » ? Une première réflexion sur ce thème a justement été menée, en relation avec notre sujet par Earl Latham en 1966Il affirmait for à propos que « la translation d'un problème ("problem") politique en question ("issue") politique ne peut jamais être expliquée simplement par référence aux faits objectifs, aussi dérangeants que ces faits puissent être » et d'ajouter : « La création d'une question politique ("political issue") de grande ampleur implique l'interaction d'une situation objective avec un complexe d'autres facteurs incluant au moins l'existence d'un groupe intéressé dans le développement et la réitération des éléments essentiels de la question potentielle, l'inclusion accidentelle ou l'adroite manipulation de symboles politiques et sociaux que la tradition et l'esprit du temps ont rendus significatifs et mobilisateurs pour une large audience, l'état de confiance du peuple dans ses gouvernants et le nombre et l'importance d'autres problèmes avec un potentiel comparable de questions concurrentes pouvant retenir l'attention du public à un moment donné » ; Earl Latham, The communist controversy in Washington, from the new deal to McCarthy, Cambridge, Harvard University Press, 1966. Sans retenir l'orientation fonctionnaliste et manipulatrice de cette définition, on en conservera les intuitions essentielles en mettant davantage l'accent sur l'hétérogénéité des pratiques et des discours ainsi que leurs effets imprévus qui forment le dispositif complexe qui voit naître une question politique. Voir aussi, Murray Edelman, Pièces et règles du jeu politique, (1988), Paris, Seuil, 1991.

22  Hofstadter rapporte la réaction d'une militante républicaine après la victoire d'Eisenhower : « Encore 8 ans de socialisme », Richard Hofstadter, The Paranoid Style in American Politics, (1964) Cambridge, Harvard University Press, 1996, p.45.

23  Richard Rovere, Senator Joe McCarthy, p.260.

24  Département d'État, United States Relations with China, (The China White Paper, Departement of State Publication 3573, août 1949), Stanford, Stanford University Press, 1967, Tome II, p.583.

25  Voir dans ce sens Harvey Klehr & Ronald Radosh, The Amerasia Spy Case, prelude to Mccarthyism, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1996.

26  Voir John N. Thomas, The Institute of Pacific Relations, Asian Scholars and american Politics, Seattle, University of Washington Press, 1974 ; David Caute, The Great Fear, New York, Simon & Schuster, 1978, p.316.

27  Joseph McCarthy, discours de Wheeling du 9 février 1950.

28  Voir sur ce point la récente biographie de Dean Acheson : James Chace, Acheson, The Secretary of State who Created the American World, New York, Simon & Schuster, 1998 et de Nancy Bernkopf Tucker, Patterns in The Dust, China-American Relations and the Recognition Controversy, 1949-1950, New York, Columbia University Press, 1983.

29  Dean Acheson, lettre de transmision du livre blanc sur les relations des États-Unis avec la Chine, p.XVI.

30  Voir pour les différentes interprétations de la NSC 68, Ernest R. May, American Cold War Strategy, Interpreting NSC 68, New Yok, Bedford Books of St Martin's Press, 1993.

31  Voir pour cette thèse, Thomas J. Christensen, Useful Adversaries, Grand Strategy, Domestic Mobilizations, and Sino-American Conflict, 1947-1958, Princeton, Princeton University Press, 1996.

32  Voir Rovere sur ce point.

33  Voir sur la répression David Caute, The Great Fear, 1978 ; Victor Navasky, Naming Names, New York, Viking, 1980.

34  Sur son application, voir Ellen Schrecker, « Immigration and Internal Security : Deportations during the McCarthy Era », Science and Society, n°60, hiver 1996-97.

35  Voir, William RTanner & Robert Griffith, « Légillative Politics and " McCartyism " : The internal Security Act of 1950 », in Griffith & Theoharis (Eds.), The Spectre, New York, New Viewpoints, 1974.

36  Voir Richard Fried, Nightmare in Red, Oxford University Press, 1990, p.51.

37  Voir Richard M. Freeland, The Truman Doctrine and the Origins of McCarthyism, Foreign Policy, Domestic Politics and Internal Security, 1946-1948, New York, Alfred AKnopf, 1972 ; Athan Theoharis, « The Rhetoric of Politics : Foreign Policy, Internal Security, and the Domestic Politics in the Truman Era, 1945-1950 » in Barton J.Bernstein (Ed.), Politics and Policies of the Truman Administration, Chicago, Quadrangle Books, 1970, pp.196-240.

38  Voir Pierre Hasner, « Le totalitarisme vu de l'Ouest » in Guy Hermet (Ed.), Totalitarismes, Paris, Economica, 1984.

39  Voir Les K. Adler & Thomas G. Paterson, « Red Fascism : The merger of Nazi Germany and Soviet Russia in the american image of Totalitarism, 1930's-1950's », American Historical Review, VolLXXV, n° 4, 1970 ; Thomas R. Maddux, « Red Fascism, Brown Bolshevism : The American Image of Totalitarism 1930's », Historian 40, nov1977 ; Voir sur la genèse américaine du « Totalitarisme », la synthèse de Abbott Gleason, Totalitarism, The Inner History of the Cold War, New York, Oxford University Press, 1993.

40  Alexandre Koyré, La Cinquième Colonne, (New York, 1945), Paris, Allia, 1997.

41  Voir Georges Bataille & Roger Caillois, « Confréries, ordres, sociétés secrètes, églises », (1938), in Dennis Hollier, Le Collège de Sociologie, Paris, Gallimard, 1979, J'emprunte cette citation à Nicole Brenez dans un texte intitulé, « Représentation de la terreur dans l'œuvre de Fritz Lang » in De la figure en général et du corps en particulier, Bruxelles, DeBoeck Université, 1998.

42  Richard Fried, Nightmare in Red, op. cit., p.54.

43  Ibid., pp.57-58.

44  Voir sur ce point, Richard H. Pells, The liberal Mind in a Conservative Age, American Intellectuals in the 1940's and 1950's, Middletown, Wesleyan University Press, 1989 et Mary SMcAuliffe, Crisis on the Left ; Cold war Politics and American Liberals 1947-1954, Amherst, University of Massachusetts Press, 1978.

45  Editorial de Partisan Review, « The " Liberal " fifth column », été 1946, p.179.

46  Ibid., p.290.

47  Ibid., p.293.

48  Ibid., p.292.

49  Ellen Schrecker, Many are the Crimes, Mccarthyism in America, New York, Little, Brown and Company, 1998.

50  Voir l'ouvrage des historiens, Harvey Klehr, John Earl Haynes & Fridrikh Igorevich Firsov, The Secret World of American Communism, Yale University Press, 1995 ; Robert Louis Benson & Michael Warner (Eds.), VENONA, Soviet Espionage and the American Response, 1939-1957, Washington D.C., NSA, CIA, 1996 ; NSA, Center for Cryptologic History, « History of VENONA and guide to the translations », NSA 1995 ; sur les archives du KGB : Allen Weinstein & Alexander Vassiliev, The Haunted Wood, Random House, 1999 ; sur la polémique actuelle sur la réalité de la menace communiste dans les années cinquante, voir : Ethan Bronner, « Rethinking McCarthyism, if not McCarthy », New York Times, 18 octobre 1998 ; éditorial du N.Y.T» Revisionist McCarthyism », 23 octobre 1998 ; réponse de Radosh, Haynes & Klehr, « Spy Stories », The New Republic, 16 novembre 1998.

51  Richard Hofstadter, The Paranoid Style in American Politics, (1964), Cambridge, Harvard University Press, 1996, p.36.

52  Voir Sigmond Diamond, Compromised Campus : The collaboration of University with intelligence Commmunity 1945-55, Oxford University Press, 1992.

53  Voir Herbert Packer, Ex-Communist Witnesses, Stanford, Stanford University Press, 1962.

54  « Donner des noms » est un rituel auquel est contrainte de sacrifier toute personne appelée à témoigner devant les commissions parlementaires ou les instances d'examen de loyauté. On donne ainsi des gages, en compromettant des proches et en se compromettant soi-même. On le sait s'y refuser, en invoquant par exemple le cinquième amendement, accroît encore la suspicion. Voir Victor Navasky, Naming Names, New York, Viking, 1980 et la pièce d'Arthur Miller, Les sorcières de Salem, où symboliquement le héros refuse de céder son nom, la seule chose qui lui reste en propre.

55  David Oshinsky, A Conspiracy so immense, p.145 et Robert P. Newman, Owen Lattimore and the " Loss " of China, Berkeley, University of Calofornia Press, 1992.

56  Owen Lattimore, Ordeal by Slander, Boston, Little, Brown & Company, 1950.

57  Voir la critique décisive de Michael Rogin de l'interprétation néolibérale du mccarthysme comme populisme dans The Intellectuals and McCarthy : The Radical Specer, Cambridge, The M.I.TPress, 196. On trouve l'essentiel de l'interprétation néolibérale du mccarthysme dans, The Radical Right, New York, Doubleday & Company, édité en 1963 par Daniel Bell et qui rassemble des textes de 1955 et de 1962 notamment de Bell, Hofstadter, Riesman, Viereck, Parsons et Lipset. Ces auteurs convergent pour voir dans le maccarthysme une forme de populisme qui trouve son origine dans l'incertitude statutaire qui aurait frappé les classes sociales les plus basses confrontées à la brutale prospéritée de l'après-guerre. Elles en auraient conçu un profond ressentiment à l'égard des élites régnantes notamment intellectuelles.

58  Arthur M. Schlesinger, Jr., The Vital Center, The Politics of Freedom (1949), New York, A da capo paperback, 1988, p.100.

59  Ibid., p.201.

60  Ibid., p.213.

61  Daniel Bell, The End of Ideology, (1960), Cambridge, Harvard University Press, 1988, p.123.

62  Richard Hofstadter, The Paranoid Style in American Politics, op. cit., p.63.

63  Daniel Bell, The End of Ideology, op. cit., p301.

64  David Riesman, Nathan Glazer, Denny Reuel, The Lonely Crowd : A study of the changing american caracter, Yale University Press, 1950.

65  Ibid., p.313.

66  Ibid., p.302.

67  Voir les relations entre la guerre froide, l'université et les intellectuels in Noam Chomsky, Ira Katznelson, Immanuel Wallerstein et autres, The Cold War & The University, New York, The New Press, 1997.

68  Ibid., p.111.

69  Peter Viereck, The Unadjusted Man, Boston, The Beacon Press, 1956, p.177.

70  Voir Richard Hofstadter, Anti-intellectulism in American life, New York, Borzoi, 1963.

71  Voir Stephen E. Ambrose, Rise to Globalism, American Foreign Policy Since 1938, Penguin Books, 1985 ; David A. Horowitz, Beyong Left & Right, Insurgency & the Establishment, Chicago, University of Illinois Press, 1997.

72  Voir sur ce thème Gabriel Almond, American People and Foreign Policy, Harcourt, Brace and Company, 1950 ; Et en réaction au mccarthysme les plaidoyers contemporains pour une politique « réaliste » en Asie comme l'article de D. W. Brogan, « The Illusion of American Omnipotence », Harper's Magazine, Vol205, décembre 1952.

73  Leslie A. Fiedler, « McCarthy », Encounter, Vol.III, n° 2, août 1954, p.17.

74  Stuart Hughes, « Why We Had No Deryfus Case », The American Scholar, Vol30, n° 4, Autumn 1961.

75  Voir Richard M. Fried, The McCarthy era in perspective, Nightmare in red, New York, Oxford University Press, 1990.

76  Créateur en 1938 de la Commission sur les activités anti-américaines de la Chambre des représentants.

77  David Riesman & Nathan Glazer, « The intellectuals and the discontented classes », Partisan Review, VolXXII, n° 1, hiver, 1955, p.48.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Yves Viltard, « Le cas McCarthy. Une construction politique et savante »Cultures & Conflits [En ligne], 43 | automne 2001, mis en ligne le 28 février 2003, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/conflits/858 ; DOI : https://doi.org/10.4000/conflits.858

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