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Chronique Bibliographique

Retour ou pérennité des camps ?

The return or durability of the camps ?
Manon Jendly
p. 197-200
Référence(s) :
Le Retour des Camps? Sangatte, Lampedusa, Guantanamo..., Paris, Autrement, 214 p.

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Mots-clés :

camps

Géographique :

Guantanamo, Sangatte
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Texte intégral

Le Cour Grandmaison O., Lhuilier G., Valluy J. (dirs.), Le Retour des camps ? Sangatte, Lampedusa, Guantanamo…, Paris, Autrement, 2007, 214 p.

1C’est principalement au nom de l’ordre et de la sécurité que se sont multipliés au fil des ans les centres de rétention administrative. Ces lieux de contrainte n’ont jamais cessé de se développer sous une pluralité de formes distinctes, depuis leur apparition au début du xixe siècle et leur généralisation durant la Seconde Guerre mondiale. De nos jours, il apparaît que ces centres procèdent principalement d’une politique systématique d’exclusion, synonyme, le cas échéant, d’expulsion, qui inscrit notamment la figure de cet autre – l’étranger – au cœur des préoccupations nationales des sociétés occidentales. L’intérêt de l’ouvrage ici recensé est de nous rappeler, par ses dimensions sociopolitiques et historico-juridiques, la propension de nos gouvernements à recourir davantage à l’internement administratif et, simultanément, l’inertie de notre conscience collective à s’emporter contre le caractère arbitraire et autarcique de cette pratique, réminiscence d’une mise au ban à durée indéterminée.

  • 1 . Sauf mention contraire, toutes les références citées dans cette chronique bibliographique sont ex (...)
  • 2 . Sur les différentes fonctions – réelles et symboliques – dévolues à ces lieux de mise à l’écart e (...)
  • 3 . Voir les contributions de Rodier C. « Aux marges de l’Europe : la construction de l’inacceptable  (...)

2Les motifs avancés à l’appui du recours aux camps instaurés en Europe occidentale ne rivalisent pas d’ingéniosité. A l’origine de leur création, ils ont pour dénominateur commun une multiplicité d’objectifs, « entre protection et répression, entre relocation et transit » et concernent un large éventail de personnes susceptibles d’y être assujetties, au gré des impératifs politiques et sociaux identifiés comme prépondérants 1. Cette pléthore de visées participe de l’ambivalence et de la nébuleuse qui entourent ces zones d’attente, pétries de l’incertitude des internés. Par ailleurs, si ces lieux de détention peuvent présenter des différences quant à leur localisation et leur aménagement, leur population et leurs modalités de prise en charge, leurs différences ontologiques résident davantage dans les critères d’ordre sécuritaire, sanitaire, utilitaire et/ou ethnique retenus en amont par l’appareil administratif. Certains camps sont ainsi plus coercitifs que d’autres, à vocation temporaire ou non, en fonction des caractéristiques de leurs occupants et des dominantes mises en avant dans le contexte en cause. Tous, cependant, ambitionnent de répondre aux « problématiques » relevant de « certaines catégories » d’individus en leur appliquant un traitement différencié, dans le cadre d’un processus qui s’apparente à celui du « grand enfermement » des dépôts de mendicité et de l’Hôpital général du xviie siècle. Tour à tour outils de régulation, de contrôle et de surveillance, ils matérialisent la volonté de l’Etat souverain de neutraliser des populations supposées menaçantes pour la sécurité nationale 2. Depuis trois décennies, ils sont progressivement devenus les instruments privilégiés d’une politique de gestion des flux migratoires, maintenant en captivité et dans l’anonymat les réfugiés, apatrides, immigrants économiques et prisonniers de guerre dans l’attente d’un probable renvoi. Qu’ils occupent des constructions banalisées en des lieux éloignés, qu’ils aient été externalisés aux confins des nouvelles frontières européennes 3, ou qu’ils s’érigent dans des zones à forte densité de passage, tels les gares et les aéroports, la plupart se fondent dans le paysage, à l’abri des regards et du grondement de la bataille.

  • 4 . Le Cour Grandmaison O., « Les origines coloniales : extension et banalisation d’une mesure d’exce (...)
  • 5 . « Autour de La Blessure », entretien avec Klotz N. et Perceval E., réalisé par Girard M., pp. 77- (...)
  • 6 . Créé en septembre 1999, Sangatte avait pour objectif de contenir les vagues de réfugiés, kosovars (...)
  • 7 . Voir Courau H., « De Sangatte aux projets de portails d’immigration : essai sur une conceptualisa (...)
  • 8 . Voir Sossi F., « Lampedusa. Figurants sur le port », pp. 107-117.
  • 9 . Voir Szurek S., « Guantanamo : le camp dans la “guerre contre le terrorisme” ? », pp. 118-129.
  • 10 . Voir Agier M., Valluy J., « Le HCR dans la logique des camps », pp. 153-163.
  • 11 . On trouvera également une cartographie de « l’Europe des camps » dans Cultures & Conflits, n°57, (...)

3Cet ouvrage se destine précisément à rendre visible cette « technique répressive d’exception 4 », ses procédés internes de mise en œuvre et sa signification pour ceux qui la subissent. Pour mieux en saisir ses dimensions, le livre s’articule autour de quatre parties. La première fixe les contours juridiques des différentes formes d’internement administratif, avant de revenir sur leur genèse et les logiques qui y président. Cette entrée en matière se révèle riche d’enseignements, bien que la tentative de définition de l’institution « camp » et sa lecture historique traduisent une approche essentiellement franco-française. Les contributions de la deuxième partie exposent subtilement la dialectique liant la notion de règle à ses mécanismes d’exception et la tendance de nombreuses politiques occidentales d’asile et d’immigration à les associer. A connotation plus existentielle, l’entretien réalisé avec Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval autour de leur long-métrage La Blessure constitue sans doute l’apport le plus original de ce collectif et, en soi, un inédit dans l’appréhension des espaces investis par les demandeurs d’asile, à partir de leur vécu 5. La troisième partie enrichit les précédentes par un examen saisissant de plusieurs sites d’internement administratif et un décryptage pointu des effets protéiformes qu’ils sécrètent. Ainsi, en s’attachant à l’organisation de l’espace et du quotidien du centre d’hébergement et d’accueil d’urgence humanitaire de la Croix-Rouge à Sangatte 6, le camp, même ouvert, apparaît telle la figure paradigmatique du gouvernement des corps 7. A Lampedusa, où se déploie un camp fermé pour migrants étrangers, il s’apparente à une vaine passerelle, longtemps ignorée des nationaux et de la loi, mais toujours cernée par un important déploiement policier et militaire 8. Quant au camp « X-Ray » sis à Guantanamo, dressé et géré au mépris des règles internes et internationales en vigueur et de la réprobation de multiples instances (non) gouvernementales, il questionne avec force le statut des personnes suspectées d’actes de terrorisme et la procédure de jugement qui leur est réservée 9. Enfin, l’examen du rôle assigné au Haut Commissariat aux réfugiés et l’étude de son évolution, façonnée par les exigences inhérentes à la sélection des exilés et à l’administration des camps, souligne les enjeux entourant une gestion humanitaire de ces espaces 10. Dans la foulée des différents points de vue adoptés sur la question, le quatrième volet réunit un certain nombre de documents informatifs, notamment des témoignages et du matériel d’associations militantes, ainsi qu’une cartographie des divers types de camps instaurés sur le continent européen élargi 11, dont on regrette qu’ils n’aient pas été commentés. Une bibliographie sélective, qui comprend également des références à la littérature grise et à plusieurs œuvres cinématographiques, parachève ce tableau qui constitue une bonne introduction aux problématiques générales abordées par les travaux menés sur la question.

4L’ouvrage, cependant, accuse certaines inégalités de ton et de sérieux dans l’examen, résultant notamment de l’éclectisme méthodologique envisagé. Il pêche en outre par son manque de profondeur et de perspective conceptuelle et souffre de quelques redondances qu’il eut été judicieux de supprimer. A trop vouloir embrasser, il étreint maladroitement la richesse que présente la multiplicité des approches, des méthodes et des perspectives théoriques adoptées et restitue au final une juxtaposition de préoccupations et de postures qui, en l’absence de fil conducteur, morcelle l’objet à l’étude en un patchwork hétéroclite.

5Il n’empêche, les auteurs ici réunis – politologues, juristes, sociologues et philosophes – présentent une analyse intéressante de ce phénomène, soulignant à la fois sa pérennité, son ampleur et sa gravité. Par leur maîtrise croisée du sujet et leur distance critique, ils offrent au lecteur curieux, même non averti, une occasion accessible de s’interroger sérieusement sur la production d’un dispositif d’exception, en passe néanmoins de devenir règle ; s’il ne l’est pas déjà.

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Notes

1 . Sauf mention contraire, toutes les références citées dans cette chronique bibliographique sont extraites de : Le Cour Grandmaison O., Lhuilier G., Valluy J. (dirs.), Le Retour des camps ? Sangatte, Lampedusa, Guantanamo…, Paris, Autrement, 2007. Voir Bernardot M., « Les mutations de la figure du camp », p. 46 et suivantes.

2 . Sur les différentes fonctions – réelles et symboliques – dévolues à ces lieux de mise à l’écart et leur inscription dans un « schéma de société plus global : le néolibéralisme sécuritaire », lire l’analyse stimulante de Bietlot M., « Le camp, révélateur d’une politique inquiétante de l’étranger », Cultures & Conflits, n°57, printemps 2005, p. 221 et suivantes. Voir également les travaux féconds de Michel Foucault, en particulier Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France (1977-1978), Paris, Gallimard/Seuil, 2004.

3 . Voir les contributions de Rodier C. « Aux marges de l’Europe : la construction de l’inacceptable », Cultures & Conflits, n°57, op. cit., pp. 130-138 et de Valluy J. « Algérie, Libye, Maroc : des camps européens au Maghreb », ibid., pp. 139-152. Sur cette idée de « nouvelles frontières européennes », voir les textes réunis dans le dernier numéro de Cultures & Conflits, n°66, traitant notamment de la perspective sécuritaire envisagée par la politique européenne de voisinage (PEV), en particulier l’article de Jeandesboz J., « Définir le voisin. La genèse de la Politique européenne de voisinage », Cultures & Conflits, n°66, été 2007, p. 11 et suivantes.

4 . Le Cour Grandmaison O., « Les origines coloniales : extension et banalisation d’une mesure d’exception », p. 38.

5 . « Autour de La Blessure », entretien avec Klotz N. et Perceval E., réalisé par Girard M., pp. 77-92.

6 . Créé en septembre 1999, Sangatte avait pour objectif de contenir les vagues de réfugiés, kosovars en particulier, qui tentaient de rejoindre la Grande-Bretagne. Si, en mai 2002, N. Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, décida la fermeture du camp, il apparaît qu’à l’heure actuelle, des associations locales continuent de distribuer quotidiennement des moyens de subsistance aux nombreux clandestins encore présents.

7 . Voir Courau H., « De Sangatte aux projets de portails d’immigration : essai sur une conceptualisation de la “forme-camp” », pp. 94-106.

8 . Voir Sossi F., « Lampedusa. Figurants sur le port », pp. 107-117.

9 . Voir Szurek S., « Guantanamo : le camp dans la “guerre contre le terrorisme” ? », pp. 118-129.

10 . Voir Agier M., Valluy J., « Le HCR dans la logique des camps », pp. 153-163.

11 . On trouvera également une cartographie de « l’Europe des camps » dans Cultures & Conflits, n°57, op. cit., volume auquel ont contribué plusieurs des auteurs réunis dans l’ouvrage ici recensé et dont les analyses sont particulièrement riches.

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Pour citer cet article

Référence papier

Manon Jendly, « Retour ou pérennité des camps ? »Cultures & Conflits, 67 | 2007, 197-200.

Référence électronique

Manon Jendly, « Retour ou pérennité des camps ? »Cultures & Conflits [En ligne], 67 | automne 2007, mis en ligne le 21 février 2008, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/conflits/3139 ; DOI : https://doi.org/10.4000/conflits.3139

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Auteur

Manon Jendly

Manon Jendly est chercheure associée, équipe de recherche sur la pénalité (EREP), au Centre international de criminologie comparée, université de Montréal.

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