Navigation – Plan du site

AccueilNuméros65Introduction. Le juge, l’historie...

Introduction. Le juge, l’historien, le parlementaire…

The Judge, the Historian, the Member of Parliament…
Isabelle Delpla, Xavier Bougarel et Jean-Louis Fournel
p. 6-17

Texte intégral

Cette carte est tirée de l’ouvrage : Bougarel X., Helms E., Duijzings G. (eds), The New Bosnian Mosaic. Identities, Memories and Moral Claims in a Post-War Country, Adelshot, Ashgate, 2007, p.7.

  • 1 . Dans ce numéro, le terme « Bosniens » (Bosanci) désigne l’ensemble des habitants de Bosnie-Herzég (...)
  • 2 . Pour une description détaillée des méthodes d’évaluation du nombre des victimes et d’identificati (...)

1Le 11 juillet 1995, l’enclave et la ville de Srebrenica, en Bosnie orientale, tombaient aux mains des forces nationalistes serbes du général Mladic qui ont organisé le transfert forcé des femmes et des enfants, massacré plus de 7 500 Bosniaques 1 et, dans les mois suivants, déterré et transporté les cadavres dans des fosses secondaires afin de dissimuler les traces du crime 2. L’enclave avait pourtant été officiellement déclarée « zone de sécurité » par les Nations unies en 1993, et ses habitants – dont des milliers de réfugiés venant de toute la Bosnie orientale – placés sous la protection de la communauté internationale, représentée en l’occurrence par un bataillon de casques bleus néerlandais. Le massacre de Srebrenica a été rapidement perçu comme le symbole des contradictions, erreurs et fautes, voire des crimes qui ont marqué la politique de « maintien de la paix » prônée par les grandes puissances et l’ONU en ex-Yougoslavie. L’horreur de ce dernier grand massacre de la guerre de Bosnie (1992-1995) a sans doute joué un rôle important dans l’intervention de l’OTAN contre les Serbes de Bosnie à la fin de l’été 1995 qui, à son tour, a conduit à la conclusion des accords de Dayton quelques mois plus tard. Le massacre de Srebrenica a ainsi été tristement fondateur pour l’Europe de l’après-Guerre froide, et notamment pour l’émergence d’une politique européenne de sécurité et de défense. A une échelle plus globale, l’issue tragique de la politique des « zones de sécurité » en Bosnie orientale a contribué à redéfinir les règles d’engagement et l’établissement des responsabilités nationales et internationales dans les opérations de type militaro-humanitaire.

2Dès juillet 1995, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a ouvert des enquêtes sur le massacre de Srebrenica, qui ont conduit à la condamnation du général Radislav Krstic pour génocide en 2001. Le général Ratko Mladic et le président de la « République serbe », Radovan Karadzic, ont aussi été inculpés de génocide, notamment pour Srebrenica. Malgré les mandats d’arrêt internationaux qui les frappent, les deux principaux responsables du massacre courent toujours. Même si les témoignages des milliers de victimes et des rares survivants des exécutions ainsi que les écrits de certains journalistes avaient alerté sur l’ampleur des crimes, ce n’est que par le travail d’enquête du TPIY qu’ont pu être reconstituées précisément les différentes phases de cette vaste opération de transfert forcé, de massacre et de déplacement des cadavres, d’autant que cette dernière phase de dissimulation n’a pu être établie par le témoignage des victimes. Sans les enquêtes du TPIY, qui ont permis de retrouver la plupart des charniers primaires et secondaires, il est fort probable que le sort des hommes de Srebrenica ainsi que le nombre de morts des massacres resteraient seulement un objet de spéculation, de rumeurs et de dénégations.

  • 3 . Le cas de la Grèce est particulier, dans la mesure où l’enquête parlementaire demandée par certai (...)

3Quelle que soit l’importance des enquêtes et des jugements du TPIY, ce tribunal ne juge toutefois que des responsabilités criminelles dans le massacre et non des responsabilités (morales et politiques) dans la chute de l’enclave qui ont pu être celles des casques bleus et des responsables internationaux en charge de la protection de la zone de sécurité. Dans les mois et années qui ont suivi, sous la pression des survivants de Srebrenica, des autorités de Sarajevo, des opinions publiques et de diverses ONG, plusieurs rapports d’enquête ont été diligentés par des institutions internationales ou étatiques impliquées à des titres divers dans le déroulement des événements (ONU, France, Pays-Bas, Republika Srpska). En revanche, certains Etats dont la responsabilité a pu également être mise en cause n’ont pas produit d’enquête ou de rapport, qu’il s’agisse par exemple de la Grande-Bretagne ou des Etats-Unis 3.

  • 4 . Pour une traduction en anglais de ce projet de résolution, voir le site du comité Helsinki pour l (...)

4Les principaux rapports ou enquêtes ont été produits par le TPIY à partir de 1996, l’ONU en 1999, la Mission d’information de l’Assemblée nationale française en 2001, le NIOD – Institut néerlandais de recherche sur la guerre, un organisme indépendant de recherche historique – sur commande du gouvernement des Pays-Bas en 2002, le Parlement néerlandais en 2003. En Bosnie même, d’importantes controverses au sein de la communauté bosniaque ont conduit à l’organisation d’un débat parlementaire dès 1996, et le gouvernement de la Republika Srpska a remis plusieurs rapports, dont le dernier en 2004. Ce dernier faisait suite à des injonctions fermes du OHR – le Bureau du Haut Représentant de la communauté internationale en Bosnie –, qui s’appuyait sur des décisions de la Chambre des droits de l’Homme de ce pays enjoignant la RS d’informer les familles sur le sort de leurs proches disparus. En juin 2005, un débat parlementaire a eu lieu en Serbie, à la suite de la présentation par huit ONG locales d’un projet de résolution condamnant explicitement le massacre de Srebrenica et en reconnaissant le caractère génocidaire 4.

  • 5 . Tout du moins dans un cadre universitaire. Pour des analyses de plusieurs de ces rapports, conten (...)
  • 6 . Ces rencontres ont été organisées à l’université Paris-VIII et à l’ENS Paris par l’ACI 67110 « Mo (...)

5Ces rapports n’ont jamais fait, jusqu’à présent, l’objet d’une analyse croisée 5. Toutefois, le lecteur peut se demander quel est l’intérêt de porter une telle attention à ces enquêtes et ces rapports, d’une lecture souvent fastidieuse. Ce numéro de Cultures & Conflits est issu de rencontres organisées en juin 2005, dix ans après le massacre de Srebrenica 6. La date choisie pour ces rencontres était significative, mais, dix ans plus tard, il ne s’agissait plus de se réunir pour condamner et dénoncer, ou même seulement faire œuvre de commémoration. Il s’agissait d’analyser la manière dont s’écrit l’histoire d’un événement de cette gravité ainsi que celle dont est abordée, dans les pays et les institutions concernés, la question de la responsabilité en matière de politique étrangère et internationale. En effet, les institutions ayant réalisé ces enquêtes et rapports bénéficient d’importants pouvoirs : une masse considérable d’informations, de documents, autrement inaccessibles, contribue de manière décisive à une connaissance de l’histoire de la chute de l’enclave et du massacre qui a suivi. La comparaison de ces enquêtes et rapports est éclairante pour l’appréciation de leurs résultats, mais aussi des conditions et de la logique de leur production. Il importe à cet égard de comprendre quels sont les pouvoirs d’investigation et leurs limites, les méthodes de travail qui ont permis et déterminé le recueil d’information. C’est pourquoi les articles de ce numéro de Cultures & Conflits mettent l’accent sur la dimension de l’enquête, de l’élaboration des rapports et de la production de connaissances.

  • 7 . Pour les sites utilisant la forme rapport de façon fallacieuse, voir en particulier le site « sre (...)

6Devant la difficulté à trouver les mots pour nommer et décrire, ces enquêtes et rapports offrent des trames de narration et d’intelligibilité qui façonnent le débat public sur Srebrenica. Ils relèvent ainsi d’une tentative d’insuffler de la rationalité dans un processus d’élucidation qui, d’emblée, a laissé trop de place à la rumeur, à la désinformation, à l’invective, aux diverses théories du complot. Ils sont à ce jour la source principale de connaissance sur la chute de l’enclave et sur le massacre, dont ils ont solidement établi le caractère organisé. Et, même si d’importantes zones d’ombre subsistent, ils ont largement contribué à minimiser l’ampleur des rumeurs et dénégations sur le nombre de morts et le sort des hommes, et à examiner de façon rationnelle les suspicions de marchandages secrets ou d’abandon délibéré de l’enclave. Il est d’ailleurs significatif que certaines tentatives de dénégation du massacre ou de son ampleur, circulant sur des sites nationalistes serbes, empruntent également la forme du rapport comme garantie de vérité et d’authenticité 7.

  • 8 . Mark Osiel souligne fort justement que les procès et les jugements de crimes de masse importent a (...)
  • 9 . Voir la contribution de M. Picard et A. Zinbo dans ce numéro.

7Ces institutions internationales ou étatiques contribuent donc à la constitution d’un débat public et à la connaissance et reconnaissance officielles de l’ampleur du massacre et du rôle des différents protagonistes 8. Il importe alors de comprendre comment ces diverses institutions conçoivent la publicité des débats, rendent accessibles leurs sources et se conçoivent comme des sources documentaires pour l’» histoire ». Et ce, d’autant que leur recherche de transparence vise également à contrer rumeurs et dénis. Aussi est-il remarquable que dix ans plus tard, un relatif consensus public des institutions internationales et étatiques, dont la RS, ait été atteint sur certains points parmi les plus litigieux, comme le nombre des morts et la nature criminelle de leur élimination. Aucun consensus de ce genre ou reconnaissance par la RS n’existe sur la purification ethnique à Prijedor, Zvornik, Foca ou Visegrad, ou même à Srebrenica en 1992. A cet égard, le passage du rapport de la RS de 2002, niant le massacre 9, à celui de 2004, le reconnaissant, constitue une étape décisive. Même si ses annexes restent confidentielles, les quarante pages publiques du rapport, remarquables par leur platitude, valent d’abord comme acte de langage public.

8En dépit de leurs limites, ces enquêtes et ces rapports circonscrivent donc un espace (public) de discussion raisonnable à propos de Srebrenica : assurément, il reste des zones d’ombre. On peut considérer que les débats et rapports bosnien, français et néerlandais tournent court dans l’analyse des responsabilités respectives de ces pays ; on peut raisonnablement débattre de la prévisibilité du massacre, des motivations de ses organisateurs et exécuteurs, des modèles d’intelligibilité pouvant en rendre compte, de la place plus globale de Srebrenica dans la guerre en Bosnie et dans les politiques internationales qui l’ont précédée et accompagnée. De fait, les articles proposés dans ce numéro peuvent exprimer des vues divergentes sur la validité des modèles historiographiques applicables au massacre et sur l’analyse des responsabilités nationales et internationales dans la chute de l’enclave. Mais on ne peut tout simplement pas débattre pour savoir si les milliers de Bosniaques assassinés de Srebrenica sont un mythe ou une construction visant à discréditer les Serbes. De telles tentatives négationnistes, même et surtout lorsqu’elles s’expriment dans le champ universitaire, sont aussi lamentables que grotesques.

  • 10 . Parmi les ONG les plus actives en faveur d’investigations sur les responsabilités internationales (...)

9La comparaison que nous proposons ne s’étend pas aux multiples rapports d’ONG 10, lesquelles n’avaient pas de pouvoir de décision dans les événements, ni même à l’histoire du témoignage, notamment celui des victimes. Ce n’est pas, loin de là, que les directeurs et auteurs de ce numéro considèrent comme secondaires le parcours personnel des victimes de Srebrenica et la dimension du témoignage individuel, qui est aussi souvent la base première d’élaboration de ces enquêtes et rapports. Mais, d’une part, cette comparaison vise à éclairer la constitution d’un débat public et la manière dont des institutions internationales et nationales affrontent leur propre responsabilité dans les événements ; d’autre part, des pans entiers des événements, notamment la vaste opération de déplacement des corps, ne nous sont pas connus par le témoignage, si bien que le sort des hommes de Srebrenica et de leurs dépouilles mortelles n’aurait certainement pu être établi sans le travail d’exhumation du TPIY et d’identification de l’ICMP (Commission internationale pour les personnes disparues).

  • 11 . Ce numéro se situe à la croisée de recherches en histoire et en philosophie plutôt que dans le ch (...)

10Précisons également que cette comparaison n’est pas exhaustive : elle ne présente pas le contenu des rapports, aisément accessible sur Internet pour la plupart d’entre eux, et ne traite ni du rapport adopté par le Parlement néerlandais en 2003, ni du débat parlementaire en Serbie en 2005. Cette comparaison ne vise pas non plus à l’exhaustivité ou à la systématicité des approches et des méthodes d’analyses, qui peuvent varier d’un article à un autre, et ne procède notamment pas à une sociologie des institutions et des personnes ayant produit ces rapports 11.

  • 12 . Cour internationale de justice, Affaire relative à l’application de la convention pour la prévent (...)
  • 13 . Voir à cet égard Becirevic E., « ICJ judgment significant despite flaws », IWPR’s Tribunal Update(...)

11Enfin, pour des raisons à la fois circonstancielles et de fond, l’analyse ne porte pas sur la récente décision de la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye dans la plainte déposée par la Bosnie-Herzégovine en 1993 contre la République fédérale de Yougoslavie pour génocide, décision qui a été rendue publique le 26 février 2007, après la rédaction des articles de ce numéro 12. La CIJ statue sur la responsabilité de la Serbie en tant qu’Etat et non sur la responsabilité criminelle des individus (objet du TPIY) ou la responsabilité politique des pays ou des institutions dans la chute de l’enclave (objet des rapports onusien, français et néerlandais). Selon l’arrêt de février 2007, la CIJ considère qu’un génocide a été commis à Srebrenica, mais non dans le reste de la Bosnie, et que la Serbie n’est responsable ni de génocide, ni de complicité dans le génocide, mais qu’elle a violé son obligation de le prévenir et son obligation de le punir. Cette décision exemplifie à la fois directement et indirectement la logique qui traverse les enquêtes et rapports présentés ici. Directement, elle pousse à son paroxysme la logique de renvoi et de citation entre rapports institutionnels. L’arrêt de la CIJ, qui se réfère également au rapport du NIOD, est presque entièrement fondé sur les rapports onusiens sur la guerre en Bosnie, notamment celui concernant la chute de Srebrenica, et sur les jugements du TPIY. L’arrêt de la CIJ n’apporte donc aucun élément ni document nouveaux par rapport aux jugements du TPIY et aux rapports cités et semble plus guidé par un souci de conformité avec ces jugements et documents que par un souci de production de la vérité ou d’éclaircissement de la nature des événements 13. D’une part, en effet, en reprenant la qualification de génocide pour Srebrenica, la CIJ avalise, sans critique ni justification, une qualification qui est objet de débats parmi les juristes et, ce faisant, en gomme aussi l’intérêt qui était de souligner la violence spécifique de Srebrenica dans le traitement différencié des hommes et des femmes et l’élimination systématique des hommes. D’autre part, en refusant la responsabilité de la Serbie dans la commission ou la complicité dans le génocide, la décision de la CIJ ne s’efforce guère d’approfondir le rôle de la Serbie dans le massacre de Srebrenica ou de rendre public les documents pertinents à cet égard. La décision de la CIJ souligne donc ainsi indirectement la spécificité des textes étudiés ici, qui ont en commun à la fois d’analyser les responsabilités criminelles ou politiques et de chercher à établir les faits, ou du moins de rendre accessibles les documents, parfois confidentiels, en permettant une meilleure connaissance.

  • 14 . Sur les relations entre le juge et l’historien – pour reprendre le titre du livre de Carlo Ginzbu (...)

12Vu le rôle qu’ont joué les enquêtes du TPIY dans l’établissement des faits sur les événements suivant le 11 juillet 1995, il est clair que notre connaissance sur Srebrenica est largement tributaire de la narration judiciaire qu’en a donnée le TPIY. A cet égard, éclairer la logique et les limites de l’enquête du TPIY contribue au débat sur les relations du juge et de l’historien. Comme l’explique le commissaire Jean-René Ruez qui a dirigé l’enquête du TPIY sur le massacre de 1995, dans l’entretien qui ouvre ce volume, l’enquête du TPIY ne porte ni sur les responsabilités internationales dans la chute de l’enclave, ni sur les combats militaires, ni même sur les responsabilités d’acteurs secondaires tels que les forces de police. Les historiens s’attacheront certainement à relier des dimensions des événements que le TPIY a dissociées ou à prendre leur distance envers leur reconstruction et catégorisation judiciaires, comme se sont efforcés de le faire les historiens de la Seconde Guerre mondiale vis-à-vis du procès de Nuremberg 14. Mais l’intérêt de la comparaison de ces enquêtes et rapports est également de dépasser et déplacer les termes du débat sur les relations du juge et de l’historien, dans lesquels le modèle est celui d’un juge chargé d’une instruction pénale, l’historien se trouvant en position de critique extérieur et indépendant par rapport à ces documents officiels et à leur production. Dans le cas présent, par contraste, la réflexion critique sur la narration judiciaire des événements et ses limites est aussi bien le fait des policiers et des juristes que des historiens. De plus, les procédures judiciaires du TPIY ou de la Chambre des droits de l’Homme de Bosnie-Herzégovine offrent un décentrement éclairant par rapport au modèle du juge d’instruction. Selon les procédures accusatoires qui prévalent au TPIY, les juges qui rédigent les jugements et « écrivent l’histoire » n’enquêtent pas, charge qui revient aux policiers et aux procureurs. Et la décision de la Chambre des droits de l’Homme qui a conduit au rapport de la RS relevait d’une instance et de procédures civiles et non pénales. En outre, ce sont des historiens qui, pour le rapport NIOD et celui de la RS, se trouvèrent en position d’enquêteurs produisant des documents officiels susceptibles d’être utilisés ou contestés dans les procès du TPIY. Enfin, ce sont aussi bien des parlementaires ou des hauts fonctionnaires que des historiens qui ont produit ces rapports.

13C’est donc une relation complexe qui s’établit, à travers ces enquêtes et rapports qui se citent largement les uns les autres, entre des commissaires de police, des juges, des historiens, des parlementaires ou de hauts fonctionnaires. La facture de ces enquêtes et rapports ne permet donc pas de séparer, voire d’opposer, des juges ou enquêteurs professionnels à des historiens ou universitaires portant un regard critique, et surplombant sur des enquêtes. Il ne s’agit donc ni d’une histoire « par le bas », au plus près du témoignage, ni d’une histoire « par le haut ». C’est ce que reflète la structure même de ce numéro fondé sur un dialogue entre différents partenaires, certains ayant participé plus ou moins activement à l’élaboration de ces enquêtes et rapports, d’autres essayant d’en comprendre la logique de l’extérieur, par comparaison.

  • 15 . C’est pour des raisons analogues que nous avions invité aux rencontres de juin 2005 Ger Duijzings (...)

14La présence dans ce numéro de Cultures & Conflits de personnes ayant, à un degré ou un autre, pris part à la réalisation des enquêtes et des rapports sur Srebrenica s’imposait d’elle même tant ils ont contribué, au titre des institutions auxquelles ils appartenaient ou appartiennent encore, ainsi que par leur compétence et leur engagement personnels, à une connaissance et reconnaissance du massacre. Jean-René Ruez, commissaire de police, a dirigé les enquêtes du TPIY sur ce massacre de 1996 à 2001, a témoigné et témoigne encore dans tous les procès des responsables inculpés par le TPIY dans ce dossier. Michèle Picard était présidente de la Chambre des droits de l’Homme de Bosnie-Herzégovine de 1997 à 2003 et a activement participé à la décision « Selimovic » qui a conduit à la reconnaissance du massacre par la RS. Asta Zinbo, directrice du Département des initiatives pour la société civile de l’ICMP, intervient ici au titre de son institution qui a participé à la mise en place et aux travaux de la commission de la RS, et du patient et précieux travail qu’elle mène depuis des années au sein de l’ICMP auprès des associations de victimes de Srebrenica. Pierre Brana, ancien député, a participé à la Mission d’information parlementaire française sur Srebrenica et a été rapporteur de celle sur le Rwanda. Bien qu’il n’ait pas été rapporteur de celle sur Srebrenica, une lecture du rapport et des auditions de la Mission d’information parlementaire montre assez que ses prises de positions furent parmi les plus libres et les plus constructives dans le travail de la Commission 15.

15Le rapport de l’ONU n’est pas l’objet d’un article séparé et les remarques rétrospectives sur ce rapport de David Harland, qui en fut le principal rédacteur, sont présentées dans le texte final d’Isabelle Delpla. Les textes de Pieter Lagrou et Xavier Bougarel, historiens, portent un regard extérieur sur les logiques qui traversent la constitution du rapport NIOD, pour Pieter Lagrou, et le déroulement du débat au Parlement de Bosnie-Herzégovine, pour Xavier Bougarel, chacun soulignant comment ce rapport et ce débat reflètent des styles et des pratiques politiques spécifiques. Les textes de Jean-Louis Fournel, historien de la pensée politique, et d’Isabelle Delpla, philosophe, qui pour le premier introduit à la discussion des rapports, et pour l’autre clôt ce volume, se présentent comme complémentaires dans l’analyse des principes de la comparaison entre ces enquêtes et rapports. Le texte de Jean-Louis Fournel analyse la « forme rapport » et les conflits de temporalités qui traversent l’écriture des rapports. Celui d’Isabelle Delpla compare ces enquêtes et rapports et leur contribution en matière de fait, de responsabilité et d’intelligibilité, notamment dans leur choix d’une échelle de description et d’interprétation (locale, régionale, nationale).

16Dans la préface programmatique à son maître ouvrage sur la Méditerranée et le monde méditerranéen au temps de Philippe II, Fernand Braudel appelait à se méfier de « l’histoire brûlante » du temps des hommes : c’est justement de cette histoire-là que ce travail tente de parler, d’elle et des diverses façons dont on peut et doit tenter de la dire. En associant intervenants institutionnels et universitaires, monographies détaillées et approches comparatives, ce numéro de Cultures & Conflits contribue à une réflexion sur la manière dont s’écrit l’histoire d’un événement de cette gravité. Plus largement, ce numéro déplace et dépasse les cadres historiographiques habituels de l’histoire du temps présent et de la violence de masse. D’une part, les contributions à ce numéro ouvrent des pistes de réflexion sur des styles nationaux et internationaux d’action, de débat politique et de recherche académique, sans pour autant mener à un perspectivisme relativiste. D’autre part, ces mêmes contributions apportent des éléments d’information et de réflexion originaux sur les interactions entre organisations internationales, institutions nationales et individus lors des événements de juillet 1995 eux-mêmes, puis au cours des enquêtes et des débats publics qui s’en sont suivis. Par des biais différents, les articles insistent tant sur le rôle des structures étatiques que sur les responsabilités individuelles dans le massacre lui-même. De même, ils montrent l’articulation entre divers degrés de responsabilités institutionnelles et individuelles, entre logique des institutions et rôle actif des individus, à la fois dans l’attitude de la communauté internationale en juillet 1995 et dans la conduite des enquêtes internationales et nationales. A ce titre, nous espérons que ce numéro contribuera à un débat informé et critique sur le massacre de Srebrenica et ses suites, et en soulignera l’importance, non seulement pour la compréhension des guerres en ex-Yougoslavie et de leur cortège d’exactions et de crimes, mais également dans le cadre de réflexions plus larges sur la violence, la prévention des conflits et les relations entre citoyens, Etats et organisations internationales dans les crises extrêmes et leurs effets, à l’aube du XXIe siècle.

17NB : Certains des articles de ce volume ont une version courte et une version longue, la première pour la revue imprimée et la seconde pour la revue en ligne (http://www.conflits.org). La version en ligne des articles de Xavier Bougarel, Isabelle Delpla et Jean-Louis-Fournel comporte un appareil de notes plus développé.

Sites Internet et documents en ligne

18(dernière vérification 17 mars 2006)

19Assemblée nationale (président : François Loncle, rapporteurs : René André et François Lamy), Rapport d’information déposé par la Mission d’information commune sur les événements de Srebrenica, Paris, 22 novembre 2001 :

20http://www.assemblee-nationale.fr/​11/​dossiers/​srebrenica.asp

21Cour internationale de justice, Affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), La Haye, 26 février 2007 :

22http://www.icj-cij.org/​icjwww/​idocket/​ibhy/​ibhyframe.htm

23Human Rights Chamber for Bosnia and Herzegovina :

24http://www.hrc.ba

25Human Rights Chamber for Bosnia and Herzegovina, Decision on Admissibility and Merits – The “Srebrenica Cases” (49 Applications) against THE REPUBLIKA SRPSKA (case n°CH/01/8365 et al.), Sarajevo, 7 mars 2003 :

26http://www.hrc.ba/​DATABASE/​decisions/​CH01-8365%20Selimovic%20Admissibility%20and%20Merits%20E.pdf

27International Commission on Missing Persons (ICMP) :

28http://www.ic-mp.org

29Nations unies, Assemblée générale, Rapport présenté par le Secrétaire général en application de la résolution 53/35 de l’Assemblée générale – La chute de Srebrenica, New York, 15 novembre 1999 :

30http://www.un.org/​french/​peace/​srebrenica

31Nederlands Instituut voor Oorlogsdocumentatie (NIOD), Srebrenica – A Safe Area. Reconstruction, Background, Consequences and Analyses of the Fall of a Safe Area, Amsterdam, 2002 :

32http://213.222.3.5/​srebrenica/​

33Office of the High Representative in Bosnia and Herzegovina (OHR) :

34http://www.ohr.int

35Republika Srpska Government – The Commission for Investigation of the Events in and around Srebrenica between 10th and 19th July 1995, The Events in and around Srebrenica between 10th and 19th July 1995, Banja Luka, 11 juin 2004 :

36http://www.vladars.net/​pdf/​srebrenicajun2004engl.pdf

37Republika Srpska Government – The Commission for Investigation of the Events in and around Srebrenica between 10th and 19th July 1995, Addendum to the Report of the 11th June 2004 on the Events in and around Srebrenica between 10th and 19th July 1995, Banja Luka, 15 octobre 2004 :

38http://www.vladars.net/​pdf/​srebr_final_e.pdf

39Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) :

40http://www.un.org/​icty

41Pour les différents actes d’accusation, comptes rendus d’audience et jugements liés au massacre de Srebrenica, voir la rubrique « Jugements et affaires du TPIY », sous-rubrique « Affaires par région » :

42http://www.un.org/​icty/​cases-f/​index-t.htm

43Pour une description précise des travaux d’exhumation du TPIY, voir Dean Manning, Srebrenica Investigation : Summary of Forensic Evidence – Execution Points and Mass Graves (16 May 200) :

44http://www.domovina.net/​archive/​2000/​20000516_manning.pdf

Principaux sigles et acronymes utilisés dans ce numéro

45BiH : Bosna i Hercegovina (Bosnie-Herzégovine)

46CICR : Comité international de la Croix-Rouge

47CIJ : Cour internationale de justice

48Dutchbat : Bataillon néerlandais de casques bleus présent dans l’enclave de Srebrenica

49FORPRONU : Force de protection des Nations unies

50HCR : Human Rights Chamber

51ICMP : International Commission for Missing Persons

52NIOD : Nederlands Instituut voor Oorlogs Documentatie (Institut néerlandais de documentation sur la guerre)

53RS : Republika Srpska

54SBiH : Stranka za Bosnu i Hercegovinu (Parti pour la Bosnie-Herzégovine)

55SDA : Stranka demokratske akcije (Parti de l’action démocratique)

56SDP : Socijaldemokratska partija (Parti social-démocrate)

57TPIY : Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

Haut de page

Notes

1 . Dans ce numéro, le terme « Bosniens » (Bosanci) désigne l’ensemble des habitants de Bosnie-Herzégovine, et le terme « Bosniaque » (Bosnjaci) les seuls membres de la nation qualifiée jusqu’en 1993 de nation musulmane, et distincte des deux autres nations constitutives de la Bosnie-Herzégovine (Serbes et Croates).

2 . Pour une description détaillée des méthodes d’évaluation du nombre des victimes et d’identification des corps, voir la contribution d’Asta Zinbo au titre du ICMP, ainsi que la version en ligne de la contribution d’Isabelle Delpla (http://www.conflits.org).

3 . Le cas de la Grèce est particulier, dans la mesure où l’enquête parlementaire demandée par certaines ONG (voir note 10) ne portait pas sur le rôle des autorités grecques mais sur la participation de volontaires grecs à l’attaque contre Srebrenica.

4 . Pour une traduction en anglais de ce projet de résolution, voir le site du comité Helsinki pour les droits de l’Homme en Serbie : http://www.helsinki.org.yu/focus_text.php?lang=en&idteks=1435. Pour une présentation du débat parlementaire ayant suivi, voir Vucenic D., « Serb Assembly Rejects Srebrenica Declaration », Balkan Crisis Report, n°561, 23 juin 2005 : http://iwpr.net/?p=bcr&s=f&o=242093&apc_state=henibcr2005

5 . Tout du moins dans un cadre universitaire. Pour des analyses de plusieurs de ces rapports, contenant des éléments de comparaison entre eux, dans un cadre plus militant, voir le site du Conseil œcuménique pour la paix (Interkerkelijk Vredesberaad) : http://www.ikv.nl et le site « Domovina » qui réunit notamment des textes de victimes de Srebrenica, tels que Hasan Nuhanovic, sur ces différents rapports : http://www.domovina.net/srebrenica/page_006.php

6 . Ces rencontres ont été organisées à l’université Paris-VIII et à l’ENS Paris par l’ACI 67110 « Morale, politique et justice internationale au prisme des sciences humaines » et l’université Paris-VIII, avec le soutien de l’UMR 5206 « Triangle » et du GDR CNRS 2651 « Face aux crises extrêmes ».

7 . Pour les sites utilisant la forme rapport de façon fallacieuse, voir en particulier le site « srebrenica-report ». Il se présente comme un rapport officiel de chercheurs et d’anciens responsables de l’ONU qui emprunte à la forme du rapport à la fois son style et sa présentation matérielle, imitant les sites Internet des organisations internationales, pour avancer notamment que le nombre de 8 000 Bosniaques tués n’a aucun fondement et est essentiellement une construction politique.

8 . Mark Osiel souligne fort justement que les procès et les jugements de crimes de masse importent autant par les jugements des crimes eux-mêmes que par leur contribution à un débat public (Osiel M., Juger les crimes de masse. La mémoire collective et le droit, Paris, Seuil, 2006).

9 . Voir la contribution de M. Picard et A. Zinbo dans ce numéro.

10 . Parmi les ONG les plus actives en faveur d’investigations sur les responsabilités internationales dans la chute de Srebrenica, il faudrait notamment citer les associations locales de familles de disparus « Mères des enclaves de Srebrenica et de Zepa » (http://www.srebrenica-zepa.ba) et « Femmes de Srebrenica » (http://www.srebrenica.ba), ainsi que Médecins sans frontières en France (voir notamment la page de leur site consacrée à Srebrenica :

http://www.paris.msf.org/site/site.nsf/pages/srebrenica-actu), le Conseil œcuménique pour la paix (IKV) aux Pays-Bas (voir note 3) et le Greek Helsinki Monitor (http://www.greekhelsinki.gr) en Grèce.

11 . Ce numéro se situe à la croisée de recherches en histoire et en philosophie plutôt que dans le champ de la sociologie ou des sciences politiques. Les réflexions ici menées sur l’écriture de l’histoire et la détermination de responsabilités s’inscrivent dans une perspective commune aux historiens des sorties de guerre et aux spécialistes des justices de transition. Même si l’on peut émettre de fortes réserves envers le concept et le domaine des « justices de transition », ce numéro reprend la démarche pluridisciplinaire qui caractérise ce champ.

12 . Cour internationale de justice, Affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), http://www.icj-cij.org/icjwww/idocket/ibhy/ibhyframe.htm

13 . Voir à cet égard Becirevic E., « ICJ judgment significant despite flaws », IWPR’s Tribunal Update, n°491, 4 mars 2007. L’auteur de l’article souligne que la Cour a refusé la requête de la Bosnie-Herzégovine d’ordonner à la Serbie de fournir à la CIJ les minutes du Conseil suprême de défense, organe en charge de l’armée yougoslave. Ces minutes avaient été communiquées au TPIY dans le cadre du procès Milosevic, sous condition de confidentialité (http://www.un.org/icty/milosevic/trialc/decision-e/040923.htm) et étaient accessibles aux juges lors de leur décision refusant d’acquitter Milosevic de certaines charges et considérant qu’il y avait des preuves suffisantes qu’un génocide avait été commis, avec la participation de Milosevic, dans plusieurs municipalités de Bosnie :

http://www.un.org/icty/milosevic/trialc/judgement/040616.htm, paragraphe 289.

14 . Sur les relations entre le juge et l’historien – pour reprendre le titre du livre de Carlo Ginzburg – ou sur l’écriture du temps présent, nous sommes notamment redevables aux travaux d’Henri Rousso, Annette Vieworka, Florent Brayard, Christian Ingrao et Carlo Ginzburg ainsi qu’aux réflexions plus générales de Paul Veyne ou Pierre Vidal Naquet sur l’écriture de l’histoire.

15 . C’est pour des raisons analogues que nous avions invité aux rencontres de juin 2005 Ger Duijzings, anthropologue néerlandais ayant participé au rapport du NIOD, bien qu’il n’en ait pas été le responsable. En effet, Ger Duijzings était l’un des seuls contributeurs à ce rapport à avoir une réelle compétence sur l’ex-Yougoslavie. Il a, en outre, exprimé ses réserves sur les résultats finaux du travail du NIOD dans l’article « The road to hell is paved with good intentions. The Srebrenica report of the Netherlands Institute for War Documentation (NIOD) », South-East Europe Newsletter, London, n°54, juin 2003, pp. 1-7. Pour un retour réflexif sur sa propre contribution au rapport NIOD, voir également son article « Commemorating Srebrenica: histories of violence and politics in memory in Eastern Bosnia », in Bougarel X., Duijzings G., Helms E., (eds), The New Bosnian Mosaic, Identities, Memories and Moral Claims in a Post-war Society, Aldershot, Ashgate, 2007, pp. 141-166. Thierry Tardy a également participé au colloque en faisant une communication sur le rapport de l'ONU.

Haut de page

Table des illustrations

Légende Cette carte est tirée de l’ouvrage : Bougarel X., Helms E., Duijzings G. (eds), The New Bosnian Mosaic. Identities, Memories and Moral Claims in a Post-War Country, Adelshot, Ashgate, 2007, p.7.
URL http://journals.openedition.org/conflits/docannexe/image/2382/img-1.png
Fichier image/png, 33k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Isabelle Delpla, Xavier Bougarel et Jean-Louis Fournel, « Introduction. Le juge, l’historien, le parlementaire… »Cultures & Conflits, 65 | 2007, 6-17.

Référence électronique

Isabelle Delpla, Xavier Bougarel et Jean-Louis Fournel, « Introduction. Le juge, l’historien, le parlementaire… »Cultures & Conflits [En ligne], 65 | printemps 2007, mis en ligne le 01 juin 2007, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/conflits/2382 ; DOI : https://doi.org/10.4000/conflits.2382

Haut de page

Auteurs

Isabelle Delpla

Articles du même auteur

Xavier Bougarel

Articles du même auteur

Jean-Louis Fournel

Articles du même auteur

  • Introduction à la « forme-rapport » : caractéristiques et temporalités d’une production de vérité publique  [Texte intégral]
    Paru dans Cultures & Conflits, 65 | printemps 2007
Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search