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L'expérience de paupérisation de la classe moyenne argentine

Gabriel Kessler

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Mots-clés :

pauvreté

Géographique :

Amérique du Sud, Argentine
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Texte intégral

1La société argentine a vécu au cours de ces vingt dernières années des événements dramatiques qui l’ont amenée à faire face à des situations d’une gravité inédite et ont provoqué de profonds changements dont nous ne connaissons pas encore toute l’étendue. Ces événements s’inscrivent dans la mémoire collective comme des repères qui marquent un « avant » et un « après » incorporés dans l’histoire et la tragédie d’une société : la dictature militaire et la violence d’Etat (1976-1983) essentiellement, mais aussi la guerre des Malouines en 1982, l’hyperinflation en 1989 et en 1990 puis, au cours de ces dernières années, les conséquences sociales de la réforme néo-libérale de grande envergure mise en œuvre par le gouvernement de Carlos Menem depuis 1991. En même temps, de façon plus discrète, dans un cadre privé et sans s’inscrire dans l’espace public en tant que problème social, l’appauvrissement devient l’expérience quotidienne d’une grande partie de la société. Sous l’effet d’une crise grave et persistante commencée au début des années 70, des centaines de milliers de familles ont vu leurs revenus passer en dessous du « seuil de pauvreté », calculé sur la base de l’ensemble des biens et des services essentiels. Aux individus depuis longtemps en situation de pauvreté (ceux que l’on appelle les « pauvres structurels ») s’ajoutent désormais des familles issues de la classe moyenne. Les travaux statistiques font apparaître l’extension et l’intensité de l’appauvrissement : depuis 1980, les revenus de toutes les catégories socioprofessionnelles ont diminué ; dans la décennie qui suit, les revenus des salariés ont connu une chute moyenne de 40%, et la pauvreté a augmenté de 67% dans le Grand Buenos Aires où vivent près de huit millions de personnes1. On observe notamment l’entrée dans le monde de la pauvreté d’individus issus de la classe moyenne : il s’agit des « nouveaux pauvres » dont le nombre a cru de 338% entre 1980 et 19902. Et cela sans compter tous ceux que les statistiques ne considèrent pas comme « pauvres » mais dont les revenus ont subi une baisse sensible qui les a obligés à changer radicalement leur style de vie. La paupérisation des secteurs moyens est lourde de conséquences pour ceux qui la subissent comme pour la société argentine dans son ensemble. Elle marque un point de non-retour, la fin d’un certain type de société. Car, jusque-là, l’Argentine était une société relativement bien intégrée – tout au moins si on la compare aux autres pays d’Amérique Latine – caractérisée par une vaste classe moyenne, résultat d’un processus de mobilité sociale ascendante dont la continuité n’avait jamais été remise en cause3. Mais, désormais, presque vingt ans après le début de l’appauvrissement massif de la classe moyenne, il ne fait aucun doute, pour reprendre les paroles de certains des nouveaux pauvres que nous avons interrogés, que « ce pays n’est plus le même ». L’appauvrissement d’une partie importante des classes moyennes n’est pas le produit d’une catastrophe inéluctable ou d’un fait qui pourrait être analysé de façon isolée. Il est le résultat d’une série de facteurs d’ordre externe et interne. La compréhension de ce phénomène exige de faire référence à l’important transfert des ressources du secteur public au secteur privé, intervenu ces vingt dernières années, à l’endettement extérieur, à la perte des droits sociaux et à l’absence d’une intervention efficace de l’Etat en direction des secteurs les plus vulnérables ; alors que durant ce laps de temps certains individus et groupes économiques proches du pouvoir politique s’enrichissent de façon considérable. L’appauvrissement est, en somme, tout à la fois un fait économique, un fait social et un fait politique. Les nouveaux pauvres forment une strate hybride : ils sont proches des classes moyennes si l’on considère les aspects économico-culturels agissant sur le long terme comme l’éducation et la composition familiale et, en même temps, ils se rapprochent des « pauvres structurels » par leur niveau de revenu, le sous-emploi et l’absence de couverture sociale, autant de variables de court terme qui résultent plus directement de la crise. Ces mêmes données statistiques révèlent également que la nouvelle pauvreté se caractérise par la polarisation et l’hétérogénéité : si, en effet, les revenus de toutes les catégories socioprofessionnelles confondues ont sensiblement chuté, en même temps, à l’intérieur de chacune de ces catégories, l’écart a augmenté entre ceux qui perçoivent les revenus les plus élevés et ceux qui se trouvent le plus près du plancher salarial. La nouvelle pauvreté se présente par conséquent sous la forme d’un univers hétérogène à l’intérieur duquel se trouvent les « perdants » de chaque catégorie socioprofessionnelle.

2Cette hétérogénéité des « nouveaux pauvres » a aussi été notre première découverte, une confirmation de ce que les statistiques suggéraient4. L’hétérogénéité des profils socioprofessionnels renvoyait à des trajectoires sociales très différentes si l’on considère les formes de socialisation, l’origine familiale, les parcours scolaires et les carrières professionnelles. Tout au long de ces diverses trajectoires antérieures à l’entrée dans la pauvreté, les individus ont assimilé des attentes, des croyances, des repères de classement, des paramètres d’exigences et des ressources potentielles très différents. Une diversité des éléments assimilés qui, après la paupérisation, a donné lieu à des façons non moins diverses de vivre l’expérience de la pauvreté. Cet article cherchera plus spécifiquement à mettre en évidence les caractéristiques de cette « déstabilisation des stables », pour reprendre l’expression de Robert Castel, qui, en Argentine, a eu jusqu’au début des années 90 pour cause essentielle la baisse des revenus et non, comme en Europe, le chômage5. La hausse du taux de chômage des dernières années représente une cause supplémentaire de paupérisation pour certains secteurs de la société argentine. Nous nous interrogerons notamment sur les formes de maîtrise de la situation, les ressources mises en œuvre pour pallier l’absence de politiques sociales compensatrices, les conséquences sur l’univers signifiant de ces individus d’un changement aussi important des conditions de vie et le sens donné à ce processus – pratiquement absent de l’espace public –dont l’impact a longtemps été très fort sur la sphère privée. Nous nous demanderons, en somme, quelle est la spécificité de l’appauvrissement en tant qu’expérience sociale. Désorganisation et contrainte En bouleversant l’univers signifiant des individus, la paupérisation affecte profondément la vie quotidienne au point d’entraîner un réexamen, une modification, voire une suppression, de toutes les habitudes directement ou indirectement liées à la vie économique. La « chute » peut contraindre une famille à retirer un enfant de l’école privée où étaient allés ses frères aînés, à limiter l’utilisation de la voiture ou des transports en commun, à ne pas aller à une soirée faute de tenue appropriée, à renoncer au sport, aux cours d’informatique, au football, à la musique, à l’achat de magazines, au cinéma, aux vacances et, souvent, à la psychanalyse, une pratique ordinaire des classes moyennes de Buenos Aires. Elle peut encore l’amener à se retirer partiellement de la vie sociale, à retarder le paiement des factures, à abandonner l’assurance et les échéances d’un prêt à demi remboursé, à moins recevoir, à limiter les soins dentaires ou à surveiller de près l’usage du téléphone et de l’électricité. Cette modification des pratiques quotidiennes touche au fondement d’idées, de croyances, d’espoirs et de catégories de perception jusque là tenues pour évidentes, mais qui n’ont pas résisté au dérèglement de la quotidienneté. Durant toute l’enquête, nous avons mesuré combien les décisions d’ordre économique des nouveaux pauvres remettaient en question les pratiques les plus ordinaires, et en principe les plus évidentes, de la vie familiale. Nous avons appelé cette particularité de l’appauvrissement la contrainte constante au changement. L’appauvrissement se différencie en effet d’une situation stable faites de routines où le temps suit son cours sans que les individus soient obligés de prendre constamment des décisions ; il se distingue également de la mobilité ascendante où le changement existe, mais comme le résultat d’un choix délibéré, du désir de donner un sens particulier à l’existence. Cette contrainte au changement est à l’origine d’une complexification croissante d’une vie quotidienne que les nouveaux pauvres cherchent à stabiliser au prix d’innombrables efforts. Un besoin d’autant plus nécessaire que, de leur point de vue, c’est non seulement leur situation personnelle, mais le monde qui les entoure qui est bouleversé. La paupérisation est en effet simultanément vécue comme un dérèglement personnel et comme une désorganisation de l’environnement social. Une double perception qui les empêche de réaliser l’adaptation au sens classique du terme : c’est-à-dire l’intégration à un nouveau contexte défini ou définissable. Car si les nouveaux pauvres n’ignorent pas que tout a changé, ils ne savent pas quelle est leur place dans ce nouveau monde où ils sont arrivés sans trop savoir ni comment ni pourquoi et dont ils ne connaissent pas la nature. L’effondrement des modèles Les matériaux recueillis par entretien soulignent les différentes manifestations de cette recherche de sens. Car les nouveaux pauvres doivent donner un sens à une situation pour laquelle ils ne trouvent de réponses ni dans les réserves d’expériences communes de la société, ni dans leur propre histoire familiale. C’est cela qui, selon nous, donne à la paupérisation son caractère exceptionnel dans l’histoire de l’Argentine moderne. L’appauvrissement d’une partie importante de la classe moyenne a en effet constitué une rupture violente avec le modèle générationnel et le modèle historico-culturel jusqu’alors en vigueur où la socialisation familiale, la culture, les stratégies les plus quotidiennes ne prévoyaient pas cet appauvrissement. Qu’entendons-nous par modèle historico-culturel ? On peut le concevoir comme une sorte de « philosophie de l’histoire », un récit collectif sur le passé et le futur de la société organisé autour de trois axes de signification articulés entre eux et formant une sorte d’arrière-fond des pratiques courantes. Le premier est constitué par ce passé national prospère et par la mobilité ascendante qu’avait connue une partie considérable de la population, et qui reste gravée pour toujours dans la mémoire collective6. Le second axe trouve son origine dans cette idée d’un pays placé sous une bonne étoile depuis son origine : il se caractérise par la croyance inébranlable en la continuité du progrès collectif. Le troisième axe représente l’incarnation par la classe moyenne de ce projet. A l’intérieur de ce modèle historico-culturel, même l’inexplicable trouvait une explication, et en particulier les crises répétées d’un pays perçu comme doté de toutes les richesses naturelles. Ce modèle suggérait effectivement que la recherche du progrès de la part d’une société constituée d’individus égoïstes ne pouvait que produire la destruction de tout projet de Nation. Il résultait, néanmoins, de ce jeu à somme nulle entre la société et la Nation une population relativement prospère bien que ce fût aux dépens de l’épuisement du pays. Mais ce que ces mythes n’envisageaient pas, c’était l’appauvrissement final des Argentins, la fin d’une vaste classe moyenne. Le modèle historico-culturel se doublait d’un modèle générationnel qui voyait chaque nouvelle génération atteindre une position supérieure – ou tout au moins égale – à celle de la génération précédente sans jamais connaître de régression. Tous les ingrédients du récit global se retrouvaient dans le récit familial, y compris les crises temporaires et les phases de retour à meilleure fortune. Dans l’un et dans l’autre, on s’accordait sur l’idée d’une ascension ; « progrès » et « futur » étaient alors deux synonymes. Les trajectoires familiales pouvaient prendre des formes variées, connaître des hauts et des bas, des périodes fastes et d’autres de vaches maigres, mais jamais on n’envisageait une chute sans un rétablissement ultérieur possible. Or, la chute marque aujourd’hui, pour les nouveaux pauvres, la fin du processus de reproduction du sens de la trajectoire sociale, et l’appauvrissement irrémédiable révèle le sommet de cette « pente » ascendante, un point d’inflexion qui risque de s’amplifier à l’avenir et auquel s’ajoute la peur d’une mobilité descendante pour les enfants. L’effondrement des modèles historico-culturel et générationnel produit tout d’abord une situation d’illisibilité générale dont la manifestation la plus évidente consiste en la difficulté de typifier la situation, c’est-à-dire l’impossibilité de caractériser la nouvelle expérience en fonction du stock de connaissances que fournit l’histoire de la société7. L’appauvrissement définitif n’ayant pas été prévu comme une situation possible, il n’y a pas de comportements de référence pour y faire face. De plus, l’effondrement du modèle culturel conduit à un affaiblissement du noyau idéologique partagé. Dans une société marquée par l’instabilité économique, politique et sociale, le récit mythique sur le progrès collectif tenait lieu de noyau idéologique accepté et stable ; peut-être le seul qui ait été préservé malgré les changements et les crises successives. La vision d’un progrès qui fait défaut remet en cause ce noyau idéologique, sans qu’un autre puisse être envisagé à sa place. Il convient, enfin, d’ajouter un troisième bouleversement qui est le produit de la désorganisation des interactions quotidiennes : l’altération des relations statut-rôle. Si nous avons mis l’accent sur les notions de statut-rôle et de conflits de rôles, c’est précisément parce que nos interviewés eux-mêmes expliquaient ainsi de nombreuses situations8. Car la nouvelle pauvreté se caractérise par une diminution progressive des revenus sans perte d’emploi, ce qui entraîne une coupure dans la relation traditionnelle statut-rôle puisque l’on n’obtient plus les réponses socialement « normales » qui sont associées aux rôles socioprofessionnels : non seulement en ce qui concerne le salaire ou les prestations sociales, mais aussi pour ce qui est du prestige et de la reconnaissance dans les interactions. Les nouveaux pauvres définissent leur statut conformément aux codes culturels qui régissaient leurs expectatives dans le passé, mais l’appauvrissement détériore progressivement l’ensemble des réponses qui sont associées à ce statut. C’est en ce sens que la paupérisation peut être comprise comme un processus d’écart progressif des relations statut-rôle historiquement constituées.

3Qu’implique un tel décryptage de la réalité ? Il s’agit tout d’abord d’une lecture du social où les relations seraient réglées par des normes qui, pour nos interviewés, font défaut. Dénoncer, comme ils le font, le non-respect des rôles est en réalité une tentative pour reconstruire les morceaux d’un système normatif et, ainsi, une certaine prévisibilité dans les interactions quotidiennes. C’est là une différence essentielle entre l’expérience du chômage et celle de la paupérisation. La perte d’emploi se traduit en effet par un changement de statut qui transforme, du même coup, l’ensemble des attentes du rôle, et l’on assiste à la disparition d’attributs liés à la condition de travailleur. Les appauvris, au contraire, continuent d’exercer les mêmes rôles professionnels, mais obtiennent des réponses différentes de celles qu’ils attendaient. On observe ainsi la dégradation d’attributs qui correspondaient auparavant à certaines positions. Cette altération est instable, fluctuante : certains projets se réalisent, d’autres non, et ce qu’un individu réussit à certains moments se dérobe à lui en d’autres circonstances. Mais ces changements ne présentent aucune stabilité et ne débouchent pas sur une redéfinition des attentes de leurs rôles. A travers l’utilisation de la panoplie de ressources proposées par les institutions privées et publiques, les individus prétendent être traités et recevoir les bénéfices qu’ils considèrent en accord avec leur statut. Dans tous les cas, la personne perd la possibilité de prévoir car elle ne peut réaliser aucune généralisation à partir d’une expérience particulière. En effet, l’avocat qui, pour éviter de faire la queue pendant des heures à l’hôpital, se prévaut de son statut de professionnel à un employé administratif respectueux, devra lorsqu’il se rendra de nouveau dans ce service hospitalier faire face au refus d’un autre employé d’accéder à ses demandes statutaires. Les nouvelles ressources Lorsque nous avons commencé notre enquête, nous avons été surpris par l’apparent désordre qui caractérisait l’organisation des consommations familiales. Certains nouveaux pauvres qui éprouvaient des difficultés pour payer l’assurance-maladie, s’habiller ou avoir des loisirs partaient néanmoins chaque année en vacances à la mer ou continuaient de scolariser leurs enfants dans des écoles privées, tandis que d’autres, à l’inverse, laissaient leurs logements se détériorer mais ne renonçaient pas à une couverture sanitaire de qualité. Des situations d’endettement généralisé n’excluaient pas non plus la fréquentation d’une salle de sport ou un renouvellement complet de la garde-robe. L’analyse de notre matériau montre cependant qu’il n’y a pas eu un éclatement de toute la logique de hiérarchisation des besoins. Le manque apparent de critères de hiérarchisation s’explique essentiellement par les ressources alternatives auxquelles ont recours les nouveaux pauvres. Celles-ci renvoient en effet à des formes d’accès à des biens et à des services fort différentes des échanges intervenant habituellement dans un système de marché. Car, à la différence de l’argent, ces ressources, de caractère discret, ne peuvent être fractionnées. Elles constituent des réponses spécifiques à des besoins déterminés et peuvent être utilisées pour satisfaire d’autres nécessités. D’où proviennent ces ressources discrètes ? Elles correspondent à ce que Pierre Bourdieu a appelé le capital social et le capital culturel9. Les nouveaux pauvres se révèlent diversement dotés en capitaux selon les trajectoires sociales qui ont précédé leur chute dans la pauvreté. A l’origine de cette diversité de trajectoires nous retrouvons, une fois encore, la variété des groupes professionnels composant l’univers de la nouvelle pauvreté. La mobilisation des ressources sociales antérieurement acquises permet aux nouveaux pauvres de bénéficier d’un traitement privilégié à l’école, à l’hôpital ou auprès des mutuelles syndicales. Une différence de traitement qui apparaît clairement quand on compare leurs parcours avec ceux des pauvres structurels dans ces différentes institutions. A l’hôpital, ils obtiennent ainsi plus facilement un lit dans un service, un rendez-vous avec un spécialiste ou des médicaments. Ils recherchent de même l’inscription de leurs enfants dans les écoles publiques les plus prestigieuses, celles qui les scolarisent toute la journée (et qui sont particulièrement demandées par les familles où les deux parents travaillent). Et des mutuelles syndicales et des services municipaux, auxquels ils demandent l’attribution de biens ou d’aides financières, ils attendent une prise en charge qui n’est pas clairement prévue. Si, en Amérique latine, le clientélisme politique a été traditionnellement considéré comme une forme de distribution informelle, ce type de transactions – qui concernent essentiellement les secteurs populaires et repose sur l’offre de biens et de services en échange du soutien électoral – semblent moins réalisables avec les nouveaux pauvres. Le clientélisme suppose en effet le contrôle discrétionnaire de mesures d’assistance dans des zones à forte concentration populaire (quartiers ouvriers, bidonvilles), et l'on n’observe aucun regroupement géographique similaire des nouveaux pauvres qui, de surcroît, ne sont l’objet d’aucune politique sociale spécifique. Ces derniers, en réalité, engagent eux-mêmes des négociations avec les institutions publiques et les mutuelles syndicales, dont ils essaient d’obtenir des biens, des prestations supplémentaires ou, tout simplement, de réduire les difficultés d’utilisation. La plupart de ces négociations donnent lieu à des conflits qui commencent en général lorsqu’un individu que l’institution ne considère pas comme un ayant droit s’engage dans ce que Albert Hirschman appelle une « prise de parole » 10. Il essaie alors d’imposer au prestataire de services sa définition des obligations qui incombent à son rôle : à savoir, la façon dont ce dernier doit accomplir sa tâche, et notamment traiter l’usager, quelles informations il doit pouvoir contrôler, avec quelle rapidité, etc. Du rôle des employés, on passe éventuellement aux obligations de l’institution en général et, dans certains cas, les nouveaux pauvres élaborent un discours sur leurs « droits » en tant qu’usagers avec le « respect » et la « considération » particulière qu’on leur doit de par leur position sociale, leur qualification professionnelle ou tout autre attribut qui les distingue et les élève au-dessus de la masse indifférenciée des usagers. La prétention à la légitimité de ces plaidoyers repose sur des arguments plus ou moins explicites et sophistiqués : ceux-ci vont en effet de la simple référence à une hiérarchie professionnelle ou à un niveau de qualification à la description détaillée d’un rôle professionnel exécuté dans les règles et qui laisse facilement deviner la position sociale de celui qui l’évoque (« lorsque je reçois un client de mon entreprise... »). Il n’est pas rare non plus d’entendre les nouveaux pauvres faire état de leurs relations avec les responsables de ces organisations pour menacer leurs employés de porter plainte ou de les « dénoncer » sans passer par les voies habituellement réservées au tout-venant. « Au niveau administratif, dans la mutuelle, dans les administrations, on a l’impression qu’on est à leur disposition, alors que c’est eux qui devraient être à notre disposition. C’est peut-être parce que j’ai longtemps travaillé dans un bureau de ventes, et que je m’occupais de nos vendeurs et des clients. Je leur dis ça : ‘ton obligation, c’est de t’occuper bien des gens’. On a l’impression qu’ils ne se rendent pas compte, [qu’ils pensent] que nous sommes à leur disposition. Il faut savoir les remettre à leur place. » « Parfois à l’hôpital ils te confondent avec une mère de bidonville, parce que c’est à côté de La Cava [grand bidonville dans la banlieue de Buenos Aires]. Parce qu’elles viennent aussi bien habillées, les enfants avec ces doudounes. Ils te traitent comme si t’étais une mère de bidonville, jusqu’au moment où les médecins voient que tu sais de quoi tu parles, que tu leur poses toutes ces questions... là, ils se rendent compte qui tu es. » L’incertitude sur les moyens demeure pourtant toujours. Le diplôme, la position professionnelle, une vague référence au droit ou à la citoyenneté, ou tout attribut les différenciant des autres usagers peut néanmoins constituer une ressource au terme d’une opération de mise en valeur réussie. Celle-ci vise l’acquisition des biens et des services qui ne sont plus accessibles aux nouveaux pauvres. Ceux-ci tentent alors d’identifier d’éventuels prestataires parmi leurs connaissances et organisent des réseaux personnels leur permettant de satisfaire certains besoins. Ils ne cherchent généralement pas à établir des relations d’échange en dehors du marché11, mais plutôt à ce que les conditions d’application des règles marchandes soient assouplies. L’une des raisons de la désorganisation des consommations familiales tient justement à ce que des ressources fournies pour l’essentiel par le capital social et culturel se sont accumulées dans une situation sociale radicalement différente et à de toutes autres fins. Beaucoup d’entre elles n’avaient du reste jamais été envisagées comme telles. Prenons l’exemple d’un avocat ou d’un médecin à la recherche d’une promotion. Dans ce type de situation, un réseau de collègues constitue un capital intéressant. Mais si le travailleur en question s’appauvrit et cherche à adopter une stratégie d’atténuation des effets de la crise, ce capital accumulé ne sera pas aussi efficient. Lorsqu’il s’agit en effet de couvrir des besoins insatisfaits, la diversité professionnelle des gens auxquels on peut s’adresser s’avère plus utile, en ce qu’elle donne potentiellement accès à une large gamme de prestations éventuelles. Les services seront dès lors de nature différente et passeront, par exemple, d’une demande de recommandation à une demande d’aide financière. Et on ne peut du reste prévoir si celui qui pouvait autrefois rendre tel ou tel service voudra accepter de satisfaire la nouvelle sollicitation ou si le « demandeur » – considérant que cette demande est illégitime – renoncera à la formuler. Les ressources sociales accumulées ne se reconvertissent pas facilement, comme le soulignait l’avocate Emma Latezzi quand elle nous affirmait sur un ton incisif : « si j’avais su toutes les choses dont j’aurais besoin, au lieu de me lier avec tant d’avocats, je me serais liée avec un groupe de plombiers, de maçons, avec le propriétaire d’une boutique et avec un coiffeur. » Cette opération de transmutation s’avère particulièrement complexe et risquée pour un individu appauvri qui doit essayer de reconvertir les relations de parenté, d’amitié, de voisinage, de profession – établies dans le passé sous d’autres conditions et avec d’autres objectifs – pour qu’elles deviennent des sources potentielles de biens et de services dans des conditions avantageuses. Des amis, des parents, des relations nouées dans d’autres contextes et à d’autres fins, ou même des compétences linguistiques inconscientes, sont ainsi appelés à apporter un bénéfice. Les appauvris se voient de même contraints de prendre des risques pour détecter, dans chaque situation, les attributs qui peuvent avoir un effet. L’appauvrissement révèle l’incertitude née de la perte des repères jadis pertinents, et la difficulté à reconstituer une nouvelle économie de relations. Don, statut et justice Dans le cadre de l’Etat-Providence, comme le remarque Pierre Rosanvallon, toute aide sociale doit respecter la condition de citoyen12. Dans le cas de la paupérisation de la classe moyenne argentine qui concerne des liens entre particuliers, cette exigence peut entraîner une tension au point d’intersection de la demande de satisfaction des besoins et du souci de conserver le respect de soi. Comment cette tension peut-elle être gérée ? De deux façons. Au moyen, d’une part, de l’interdit de circulation qui frappe certains biens dont la valeur symbolique exige qu’ils restent à l’écart : la nourriture et les vêtements. Des biens qui ne sauraient circuler dans les réseaux des nouveaux pauvres sans porter atteinte à l’image d’une famille restée autonome dans la satisfaction de ses besoins quotidiens. C’est cette frontière qui les différencie, à leurs yeux, des « véritables pauvres », obligés, eux, de recourir à l’assistance pour nourrir et habiller leurs enfants. Cette tension peut, d’autre part, être gérée au moyen d’une configuration particulière obtenue par ces transactions. Nous avons ainsi caractérisé ce qui circulait à l’intérieur de ces réseaux comme des dons unilatéraux qui ne sont cependant pas vécus comme tels, mais typifiés comme un « service » (favor), une pratique courante de la sociabilité argentine. Ces dons prendraient place dans une « communauté imaginaire » que le récepteur construit en justifiant sa demande par la formule typique : « s’il était à ma place, je ferais la même chose pour lui », une communauté que régirait un principe de besoins légitimant l’acceptation de l’aide à l’intérieur du groupe en cas de nécessité13. Ces nouveaux pauvres vivent en effet la possibilité d’exiger une facture, d’obtenir l’échelonnement en d’innombrables mensualités du paiement d’un bien ou, encore, le fait de poser – comme ils en avaient l’habitude – d’innombrables questions à leur médecin de famille qui les soigne désormais gratuitement comme la mise en scène nécessaire pour imaginer le maintien d’une égalité qui fait maintenant défaut. La question identitaire Mais comment au juste les individus touchés par la paupérisation définissent-ils la place qu’ils occupent désormais dans la société ? Nous évoquerons ici leur « auto-classement social », c’est-à-dire leur propension à se classer dans une catégorie sociale donnée, par exemple comme membre de la « classe moyenne » ou comme « pauvre ». Cet auto-classement est une localisation imaginaire dans la structure sociale et un positionnement par rapport aux autres groupes qui constituent le monde social : la catégorie « classe moyenne » suppose et implique ainsi les catégories « classe basse » et « classe élevée ». Nous nous demandons ici si la paupérisation affecte les auto-classements préalables. Bien qu’il n’y ait pas, a priori, de contrainte au changement, dans la mesure où l’on ne constate pas, comme dans le cas du chômage, de « rite de destitution » (le licenciement représente à la fois la suppression d’une catégorisation existante et le support d’une nouvelle catégorie quand l’individu passe, par exemple, de la catégorie de PDG à celle de cadre au chômage), notre recherche a montré que la paupérisation remet en question un auto-classement fondamental : l’appartenance à la classe moyenne qui apparaissait comme intimement liée à la définition toujours problématique de l’identité argentine. Les enquêtes des années 80 montraient ainsi que plus de 70% de la population s’incluait dans un groupe qui, par son ampleur, révélait la différence essentielle entre l’Argentine et le reste de l’Amérique Latine. L’entrée dans la classe moyenne constituait en outre l’aboutissement du projet d’ascension sociale des immigrés, un projet qui, dans un contexte d’une instabilité sociale, politique et économique récurrente, avait été le seul noyau idéologique stable et partagé par l’ensemble de la société. Pendant la période d’hyperinflation de 1989-1990, la « fin de la classe moyenne » représentait le spectre de l’anéantissement d’une strate et du projet de pays qu’elle incarnait14. Sa disparition devait transformer la structure sociale qui passait d’une situation d’équilibre ternaire à l’affrontement dichotomique entre la classe supérieure et la classe inférieure. L’Argentine se rapprochait ce faisant du Brésil qui, dans l’imaginaire argentin, représente l’exemple même de la société duale ravagée par la misère et la violence. A la différence toutefois de la paupérisation, l’hyperinflation a été un phénomène dévastateur qui, en son temps, a occupé la totalité de l’espace public. En n’épargnant quasiment aucun groupe social, cette période a favorisé l’énonciation collective d’une problématique de la classe moyenne : non pas l'expulsion individuelle de la classe moyenne mais la disparition de cette classe dans son ensemble. La paupérisation, en tant que processus de longue durée moins visible comme problème social, conduit en revanche l’individu à formuler la question de son maintien ou de son expulsion de la classe moyenne en des termes plus individuels. Et il s’agit là d’une question centrale pour les nouveaux pauvres qui y apportent des réponses très diverses. Leur inquiétude trouve notamment son origine dans la remise en cause, par l’appauvrissement, d’une croyance enracinée au plus profond de l’imaginaire social, tant le fait d’ « être de classe moyenne » ne faisait l’objet d’aucune discussion. Alors que, aujourd’hui, cette affirmation se pose non seulement comme une sorte de to be or not to be membre de la classe moyenne, mais prend aussi la forme d’une remise en question de toute la chaîne de sens liée à cette notion. La question sur l’appartenance entraîne en effet d’autres interrogations sur la définition des critères d’inclusion, le poids de la position passée, des diplômes ou du niveau culturel. On s’interroge également sur la portée du changement : est-il individuel ? Ou concerne-t-il tout un groupe social, voire la société dans son ensemble ? Et si l’on se considère exclu du groupe de la classe moyenne, on se demande avec inquiétude à quelle catégorie on appartient désormais. Dans la mesure où l’auto-inclusion dans la classe moyenne repose sur l’accès – réel ou potentiel – à des biens et à des services comme certains vêtements, les appareils électroménagers, les voitures, les sorties et les vacances, qui ne concernent pas le domaine de la simple survie, c’est le renoncement à certaines formes de consommation qui entraîne le questionnement sur la catégorie d’appartenance. Le niveau de consommation fait, en la matière, figure de marqueur identitaire déterminant, bien plus encore que le niveau d’étude, un facteur pourtant important dans ce type de classement. Car on peut, d’une part, fort bien appartenir à la classe moyenne sans être diplômé et, d’autre part, parce qu’un niveau de qualification élevé ne protège aucunement du questionnement identitaire, connaître une crise de son mode de vie. Appartenir à la classe moyenne ne suppose aucun rite de passage : le fait de consommer constitue en lui seul une marque d’appartenance. Et c’est parce que cette classe moyenne se définit dans la quotidienneté par des pratiques consuméristes que si, en temps normal, elle s’impose comme une catégorie d’auto-classement largement acceptée, elle se trouve, en revanche, extrêmement fragilisée dans une période d’appauvrissement. L’absence de barrières rigides pour délimiter la classe moyenne fait alors la vulnérabilité de cette catégorie qui ne bénéficie d’aucune pratique institutionnalisée, passée ou présente, qui puisse servir de dispositif de maintien de l’identité. Quel est, en toute rigueur, le sens attribué à la consommation pendant l’appauvrissement ? Mary Douglas et Baron Isherwood remarquent que la consommation est un processus rituel dont la fonction primaire est de donner un sens au flux rudimentaire des événements15. Elle contribue à fixer les significations des faits qui connaissent, par définition, un changement constant. Les objets et les services sont utilisés comme « indices » de différents aspects du processus social. Dans le cas qui nous intéresse, ils révèlent la mobilité sociale descendante. S’en séparer ou y renoncer sont les indices de la chute : non que ces objets et ces pratiques aient été nécessairement dans le passé perçus comme les jalons d’une trajectoire ascendante, mais plutôt, selon nous, parce qu’ils deviennent rétrospectivement des marqueurs de la trajectoire sociale, en ce que leur disparition permet d’objectiver l’expérience du changement de sens de la trajectoire sociale, illisible autrement. Ainsi, l’appauvrissement se construit comme une différence : entre ce qu’on avait et ce qu’on n’a plus aujourd’hui, entre les lieux que l’on fréquentait auparavant et ceux que l’on fréquente aujourd’hui, entre la qualité d’un produit dans le passé et celle d’un autre produit à l’heure actuelle. Ce sont justement des biens et des services différents, par leur comparaison dans le temps, qui permettent de construire cette différence. « Avant, on avait une Renault de 81, maintenant elle est de 74 : au lieu d’aller vers l’avant, nous allons à reculons ! » « Vous le sociologue, vous y comprenez quelque chose ? Moi, fille d’ouvriers, je suis toujours allée à l’école privée. Ma fille, dont les deux parents sont des diplômés de l’Université, doit aller à l’école publique ». Pour revenir au thème de la remise en question de l’appartenance à la classe moyenne, certains interviewés considèrent toujours en faire partie quand d’autres affirment en avoir été expulsés. Ceux qui continuent de s’en dire membres mettent l’accent sur les attributs qui compenseraient la diminution du niveau de vie : les diplômes, leur statut professionnel, le niveau culturel, les habitudes ou simplement le passé. Quelques-uns font allusion à une « dépréciation massive de la classe moyenne » qui aurait connu dans son ensemble une dégradation des conditions de vie. Même dans ce cas, l’appartenance et l’existence d’une classe moyenne demeure. On rencontre un raisonnement similaire chez ceux qui estiment que la classe moyenne a changé en profondeur pour devenir quelque chose de différent : une « classe inférieure élevée » par exemple. Il s’agit, alors, plus d’un changement collectif que d’un déclassement individuel. La division ternaire de la structure sociale, avec un troisième segment entre la classe supérieure et la classe inférieure persiste, même si la position du segment intermédiaire s’est rapprochée de la classe inférieure. « Il n’y a pas d’argent, et il n’y a pas d’argent. Il n’y a pas d’heures supplémentaires, il n’y a rien du tout. Cet argent, tu dois bien l’investir, n’est-ce pas ? Ce qui veut dire que tu ne peux pas t’acheter une paire de chaussures si tu ne sais pas si tu arriveras à la fin du mois. Avant, tu pouvais compter sur les heures supplémentaires pour un tas de trucs. Maintenant, il n’y en a plus. C’est ça le problème. Ça s’est effrité. La classe moyenne n’existe plus. C’est-à-dire que nous sommes une classe inférieure élevée. Tu comprends ? » « Il n’y a plus de syndicats ni personne pour te défendre. On en revient à l’esclavagisme. On te paye deux pesos et si tu n’es pas content, tant pis pour toi. Mais ceux qui sont mal, très mal, c’est ceux qui ont toujours été mal. Ils sont au fond de la mer. Et nous, à leur place, on essaie de ne pas tomber encore plus bas. » Rester dans la classe moyenne exige non seulement d’essayer de perpétuer certaines pratiques, mais aussi d’en éviter d’autres dont la réalisation confirmerait que l’expulsion a eu lieu. Nous pouvons ainsi comprendre le refus de tous nos interviewés de se considérer comme les sujets légitimes des politiques d’assistance comme par exemple, la distribution gratuite d’aliments. Même des familles qui se trouvent dans des situations de pauvreté extrême considèrent que « c’est pas pour eux » mais pour les « vrais pauvres ». S’agissant de politiques traditionnellement destinées aux pauvres, quiconque en bénéficie devient de ce fait « un pauvre ». Parce que la mesure d’assistance a un effet d’étiquetage, ceux qui la refusent essaient d’éviter la « disqualification sociale » 16. Bien que ceci n’apparaisse pas de façon explicite dans les entretiens, on peut néanmoins le déduire à partir de la référence constante à un autre groupe qui se trouve dans une situation pire, qui serait, lui, le bénéficiaire légitime de l’assistance. Cristina Campos, enseignante et étudiante universitaire en Communication Sociale à l’Université de Buenos Aires, nous raconte qu’elle perçoit de sa Faculté une bourse pour l’achat de livres. Cependant, elle a décidé de ne pas faire la demande d’une bourse d’aide économique. Nous lui avons demandé la raison de son refus, puisqu’elle avait besoin de ces revenus pour pouvoir continuer ses études. « Je sais pas, je peux pas parce que c’est de l’argent... Je crois que cet argent, c’est pour ceux qui ont plus de difficultés, qui sont pires que moi, qui sont mal, mal... bon, alors en revanche, avec les livres je sais que c’est vrai, que je n’invente rien, c’est comme si cette chose m’arrivait à moi. » Cristina, objectivement, se trouve parmi les étudiantes qui sont le plus dans le besoin dans sa Faculté. Cependant, en refusant la bourse économique, elle construit un groupe imaginaire, récepteur légitime de cette aide, ce qui lui évite de se situer parmi les étudiantes plus démunies. Il n’en reste pas moins qu’une partie des nouveaux pauvres se considère déjà en dehors de la classe moyenne. Il s’agit le plus souvent d’individus qui avaient fondé leur appartenance à cette catégorie sur le seul « style de vie », faute de titres universitaires ou d’emplois qualifiés, c’est-à-dire de tout ce qui au niveau de l’imaginaire permettait de compenser la détérioration des conditions de vie. A partir de situations proches, certains d’entre eux adoptent, cependant, l’une ou l’autre position, selon qu’ils mettent l’accent sur les pertes endurées ou sur ce qui perdure. L’expulsion peut du reste conduire à la recherche d’une nouvelle « catégorie d’accueil ». C’est pourquoi, il n’y a rien de surprenant à ce que les individus que nous avons rencontré n’en soient jamais venus à se considérer « pauvres », car les pauvres sont, selon eux, les pauvres structurels dont ils sont séparés tant par leur passé que par leur style de vie actuel. Ce qui explique la raison pour laquelle ils essaient plutôt de trouver une catégorie qui rende compte de l’hétérogénéité de leurs expériences : « La classe moyenne était une classe qui avait reçu une formation scolaire, c’était celui qui pouvait atteindre le secondaire, qui pouvait attendre quelque chose de mieux, je parle de mon époque, n’est-ce pas ? J’ai quarante ans. La classe moyenne était celle dont les enfants avaient reçu un enseignement secondaire, parce qu’à cette époque on ne faisait en général que le primaire, alors les gens avaient un avantage pour travailler et tout ça. Mais maintenant, c’est plus compliqué. Je parlerais de classe travailleuse. Je ne sais pas vraiment si je suis de la classe moyenne ou de la classe pauvre. Je sais que je suis de la classe travailleuse, parce qu’on dépend d’un salaire qui nous demande beaucoup de travail, mais au niveau économique, on pourrait dire qu’on est de la classe pauvre, le revenu est très bas, mon mari est le seul qui travaille, et c’est de plus en plus dur pour nous. Maintenant, si on regarde l’endroit où on habite, par sa localisation, si on a une maison en dur, si on a l’eau courante, le gaz, des études, alors peut-être que oui. Mais je ne me sens plus dans un cadre : je suis dans la classe moyenne ou dans la classe pauvre selon les circonstances... » Cet extrait d’entretien montre que l’interviewée considère les nouveaux pauvres comme une strate hybride où coexistent des habitudes de consommation, des relations sociales, des biens, des manques et des croyances qui sont traditionnellement attribués à des groupes sociaux différents. Incapable de se classer dans la « classe moyenne » ou dans la « classe pauvre », celle-ci affirme appartenir à la « classe travailleuse », ce qui implique un changement dans les paramètres de classement : du style de vie à la source des revenus (travail salarié). Plus que des réponses définitives, les entretiens rendent généralement compte d’une situation de doute, une sorte de mise en suspens de l’identité sociale. Dans certains cas, la « dérive identitaire » atteint des degrés où l’on demande au sociologue de définir la nouvelle situation. « Non, plus de classe moyenne, non...je voudrais bien ! Il y a les pauvres, ceux qui ont toujours été pauvres, sans aucune possibilité de s’en sortir. Peut-être un jour, Dieu m’en protège, je serai pauvre, mais j’espère que non. Les pauvres sont plus loin... Je sais pas, je sais que pas dans la classe moyenne, mais heureusement pauvre, non. Et vous, qui êtes sociologue, vous me situeriez où… ? » La nouvelle pauvreté entre l’inégalité et l’exclusion Comment peut-on penser la paupérisation à l’aune de concepts comme ceux d’exclusion et de désaffiliation ? Contrairement à une idée assez largement répandue aujourd’hui en Argentine, l’analyse de la nouvelle pauvreté révèle en effet que l’on n’assiste pas aujourd’hui à la constitution de deux mondes distincts – celui des intégrés et celui des exclus. Si l’Argentine connaît sans aucun doute des formes extrêmes d’exclusion, une marginalité dans le sens le plus large du terme, l’appauvrissement n’a néanmoins pas encore engendré une société duale. Nous observons, au contraire, la coexistence de situations hétérogènes dans le cadre d’une détérioration générale des conditions et de la qualité de la vie. Car si les nouveaux pauvres font quotidiennement l’expérience du renoncement à certains biens et services, certains arrangements leur permettent de poursuivre d’autres pratiques. Davantage qu’une opposition binaire entre une intégration pleine et une exclusion totale, les appauvris circulent à l’intérieur de ces deux pôles, dans des situations pour lesquelles nous pourrions dire, en paraphrasant Etienne Balibar, que le terme d’« inégalité » n’est pas suffisant et que celui « d’exclusion » est excessif17Une représentation dichotomique de l’exclusion ne nous est donc pas d’un grand secours. Mais qu’arrive-t-il lorsque nous commençons au contraire à nous interroger sur l’avenir de nombreuses pratiques au moyen desquelles les appauvris satisfont leurs demandes de biens et de services, sur la solidité de ces arrangements temporaires qui sont le produit du capital social et culturel accumulés dans le passé ? Qu’adviendra-t-il de ces pratiques ? Se maintiendront-elles ou bien cesseront-elles de fonctionner à moyen ou long terme ? Il est certes difficile de parier sur la formalisation de « services » qui, avec le temps, deviennent de plus en plus difficiles à obtenir. C’est dans ce cadre que l’idée d’exclusion prend une autre signification et peut nous être utile pour penser la nouvelle pauvreté. C’est dans ce sens que Robert Castel suggère d’essayer de saisir la marginalisation comme un processus et de comprendre la situation de ces individus comme le dénouement d’une dynamique d’exclusion qui se manifeste avant que ne se produisent ses effets complètement désocialisants Robert Castel, « De l'indigence à l'exclusion », in Jacques Donzelot (dir.), Face à l’exclusion, Paris, Esprit, 1991.]]. Son analyse nous permet de penser la nouvelle pauvreté en Argentine à travers le concept de désaffiliation. En termes généraux, les nouveaux pauvres sont dans une situation de vulnérabilité, car ils compensent les conséquences de la fragilité professionnelle grâce à des réseaux sociaux. Une lecture synchronique pourrait laisser croire que ces réseaux sont une assurance contre la désaffiliation. Dans une société qui n’est pas complètement « salariale » (dans le sens que Castel donne à ce terme), on conserve certes des ressources d’origine communautaire, et ce sont les déficits de contrôle ainsi que l’absence d’articulation entre les institutions qui sont propres à une société caractérisée par un niveau élevé de désorganisation, qui permettent ce genre d’arrangements. Cependant, si l’on considère la désaffiliation comme un processus, il est évident que les ressources précédemment évoquées ont une limite claire si l’on raisonne dans une perspective diachronique. Aussi est-ce pourquoi, au lieu de l’opposition binaire intégration-exclusion, nous avons adopté l’idée de processus d’exclusion, qui place la dimension temporelle à un niveau central. Il n’est certes pas possible d’affirmer que tout processus de paupérisation a comme corollaire inéluctable la multiplication des désaffiliés. L’analyse de Robert Castel est cependant utile pour attirer notre attention sur les différentes sphères de la vie sociale et pour nous demander quelles dynamiques d’exclusion sont mises en œuvre et quels sont les secteurs de la population qui en pâtissent. Etant donné la coexistence pour un même individu ou groupe familial de situations hétérogènes en ce qui concerne des domaines différents de la vie sociale, la question sur l’exclusion doit être formulée par rapport à certaines sphères. Ainsi, nous pourrions analyser l’exclusion du travail, de la santé, de l’éducation, du logement, du loisir, des niveaux minimum de consommation, du transport, des services en général, de la sécurité et de la justice, entre autres. Si une première question concerne les dynamiques d’exclusion dans les différentes sphères de la vie sociale (exclusion vis-à-vis de quoi ?), une autre renvoie à ses différents niveaux. Dans une même sphère, il existe des situations intermédiaires entre deux pôles que nous pourrions appeler « l’intégration pleine » et « l’exclusion totale ». Dans ce sens, on ne peut pas parler d’exclusion totale. Mais comment penser, par exemple, les différences dans la qualité de l’enseignement entre établissements, non seulement entre les écoles publiques et les privées, mais aussi entre écoles de zones différentes ? La question est, pour chaque sphère, à partir de quelle limite a-t-on le droit de parler d’exclusion ? Il faut, en même temps, considérer qu’une société comme la société argentine qui se complexifie et se modernise, qui crée de nouvelles formes de consommation, augmente les possibilités d’exclusion si elle ne se montre pas capable de créer parallèlement des voies d’intégration dans ces sphères à propos desquelles il convient de se demander quel est le « droit d’admission », quel est le « billet d’entrée ». La réponse à cette question nous permettra ainsi de mesurer qui sont ceux qui y ont et qui n’y ont pas accès. En ce sens, la notion de « entitlement » (ce qui revient de droit à quelqu’un) de Amartya Sen peut être utile18. Elle se réfère pour l’essentiel aux différents moyens légaux existant dans une société (argent, droits sociaux, etc.) qui permettent aux gens de disposer de certains biens et services. La question qui se pose alors est de savoir qui a accès à quoi et par quel moyen. La nouvelle pauvreté rend compte de la façon dont la société produit des ressources alternatives dotées d’une validité locale et exigeant d’être constamment renégociées face au déficit des ressources traditionnelles (argent et droits sociaux). La paupérisation de la société argentine n’en poursuit pas moins son cours, aggravée par l’accroissement du taux du chômage ces dernières années. Une question sociale qui pose en Argentine une quantité innombrable d’interrogations qui constituent, à n’en pas douter, le plus grand défi actuel lancé à « l’imagination sociologique » et à l’action politique.

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Notes

1 INDEC, La Pobreza urbana en la Argentina, Buenos Aires, INDEC, 1990 ; Minujin, Alberto (éd.), Cuesta Abajo. Los nuevos pobres : efecto de la crisis en la sociedad argentina, Buenos Aires, UNICEF/Losada, 1992.
2 Les statistiques nous permettent d’esquisser un premier portrait général de ces « nouveaux pauvres ». On observe, par exemple, dans les secteurs de pauvreté structurelle un grand nombre de foyers dont le chef de famille est âgé de moins de 30 ans. En effet, la formation précoce de la famille est un phénomène particulièrement courant chez les secteurs populaires. A ce sujet, on observe une situation similaire chez les nouveaux pauvres et les non-pauvres. Les secteurs populaires se caractérisent également par l’existence de familles nombreuses. Ainsi, parmi les pauvres structurels les familles de sept membres sont fortement représentées, alors que parmi les nouveaux pauvres et les non-pauvres, leur nombre est légèrement inférieur. Cf. Alberto Minujin, op. cit. Les données de l’enquête « La pobreza urbana en la Argentina » confirment les profils décrits antérieurement. Ainsi, en ce qui concerne la scolarité primaire (obligatoire), le taux de scolarité ne présente pas de différences significatives entre les différents groupes (le taux des enfants de 8 ans scolarisés est de 100% chez les foyers non-pauvres, de 100% également chez les paupérisés et de 91,9% chez les pauvres structurels). Cependant, si on évalue la réussite scolaire, on constate d’importantes disparités : 24% de l’ensemble des enfants redoublent au moins une classe de l’école primaire et la probabilité de redoublement est fortement associée à la situation de pauvreté. Ainsi, 43,6% des enfants venant de familles de pauvres structurels redoublent, tandis que chez les non-pauvres, ce taux s’élève à 12,7% et chez les paupérisés à 26,7%. Les inégalités face aux opportunités éducatives se reflètent enfin dans la distribution inégale du capital scolaire de la population adulte. Parmi les plus de 15 ans, le groupe qui n’a pu terminer l’enseignement primaire représente 18,8% chez les non-pauvres, 27,7% chez les paupérisés, et atteint 42,2% parmi les structurels. A 18 ans, âge qui correspond en général à la dernière année de lycée, seulement 12,4% des pauvres se trouve encore inséré dans le système scolaire contre 31,6% chez les paupérisés et 50,6% chez les non-pauvres. Quant aux caractéristiques professionnelles, on peut observer parmi les nouveaux pauvres une forte présence de patrons, travailleurs de l’administration publique, salariés de la petite et moyenne entreprise et des cuenta propia (travailleurs établis à leur compte) qualifiés. Il s’agit de professions courantes parmi les couches moyennes. Cf. Alberto Minujin, op. cit.
3 En 1960-61, dans le Grand Buenos Aires (où habite un tiers de la population du pays), 36,5% des enfants dont le père était ouvrier avaient connu une mobilité ascendante (31,8% vers les couches moyennes et 4,7% vers les couches supérieures). Dans les catégories professionnelles plus basses - ouvriers non qualifiés - 77% des enfants avaient accédé soit au niveau d’ouvrier qualifié, soit à des niveaux moyens. La voie d’ascension la plus fréquente et efficace était offerte par l’enseignement. Cf. Gino Germani, « La estratificación y sua tiers de la evolución histórica en Argentina », in Gino Germani et alii, Argentina Conflictiva, Buenos Aires, Paidós, 1972.
4 En 1960-61, dans le Grand Buenos Aires (où habite un tiers de la population du pays), 36,5% des enfants dont le père était ouvrier avaient connu une mobilité ascendante (31,8% vers les couches moyennes et 4,7% vers les couches supérieures). Dans les catégories professionnelles plus basses - ouvriers non qualifiés - 77% des enfants avaient accédé soit au niveau d’ouvrier qualifié, soit à des niveaux moyens. La voie d’ascension la plus fréquente et efficace était offerte par l’enseignement. Cf. Gino Germani, « La estratificación y sua tiers de la evolución histórica en Argentina », in Gino Germani et alii, Argentina Conflictiva, Buenos Aires, Paidós, 1972.
5 Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995.
6 Peut-être le péché originel fut-il, comme l’affirme Tulio Halperin Donghi, que les promesses de prospérité des Pères fondateurs se soient accomplies trop rapidement. Cf. T. Halperin Donghi, El espejo de la historia : problemas argentinos y perspectivas latinoamericanas, Buenos Aires, Ed. Sudamericana, 1995.
7 Nous faisons allusion au concept de « réserves d’expériences préalables » (stock of knowledge) de Schütz. Cf. Alfred Schütz, Le chercheur et le quotidien, Paris, Méridiens Klincksieck, 1987. Cet auteur affirme que « toute interprétation de ce monde est basée sur une réserve d’expériences préalables, les nôtres propres ou celles que nous ont transmises nos parents ou nos professeurs ; ces expériences, sous forme de ‘connaissances disponibles’ fonctionnent comme schème de référence. », op. cit., p. 12. Daniel Cefaï se réfère aux situations où cette réserve d’expériences ne fournit pas d’éléments pour interpréter une nouvelle situation. « Il y a problème lorsque l’acteur ne sait pas quoi dire ou quoi faire, ne parvient pas à comprendre ce qui lui arrive, ne trouve pas d’accord et d’entente avec les autres, échoue à inscrire un thème dans les structures de pertinence jusque-là adoptées. (...) Il fait l’expérience de l’inadéquation de sa ‘pré-structure de compréhension’ : son champ d’anticipation interprétative et motivationnelle n’est pas approprié pour définir et maîtriser la situation à laquelle il a affaire. ». Cf. Daniel Cefaï « Type, typicalité, typification. La perspective phénoménologique » in Fradin, Bernard, Queré, Louis et Widner, Jean (dir.), L’enquête sur les catégories. 5. Raisons pratiques, Paris, Editions de l'EHESS, 1994, p. 112.
8 La polysémie de ces concepts nous oblige ici à quelques précisions. Nous nous appuyons sur les travaux de Linton pour lequel le statut est la définition normative des droits et des devoirs, des comportements et – ce qui nous intéresse particulièrement – des réponses à ces comportements qui sont assignés à une position sociale précise et, dans notre cas, à la position professionnelle. Le rôle est, quant à lui, l’exercice concret de ce statut. Cf. Ralph Linton, The Study of Man, New York, Appleton-Century, 1936 et The Cultural Backround of Personality, New York, Appleton-Century, 1945.
9 Pour Pierre Bourdieu, le capital culturel existe sous trois formes. L’une d’entre elles nous intéresse plus particulièrement : le capital culturel comme « état incorporé », c’est-à-dire sous la forme de « dispositions durables de l’organisme », où « disposition » fait référence à des « attitudes, inclinations à percevoir, sentir, faire penser, intériorisées par les individus du fait de leurs conditions objectives d’existence, et qui fonctionnent alors comme des principes inconscients d’action, de perception et de réflexion. ». Cf. Pierre Boudieu, « Le capital social », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 31, 1980, pp. 3-6 ; « Les trois états du capital culturel », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 30, 1979, pp. 2-3 et La distinction, Paris, Editions de Minuit, 1979.
10 Albert Hirschman, Exit, Voice, and Loyalty, Cambridge, Harvard University Press, 1970.
11 Comme celles décrites dans les travaux sur les réseaux sociaux des secteurs populaires en Amérique Latine, cf. Larissa Lomnitz, ¿Cómo sobreviven los marginados ?, México, Siglo XXI, 1975. Dans le cas de l’Argentine, cf. Silvina Ramos, Las relaciones de parentesco y la ayuda mutua en los sectores populares urbanos : un estudio de caso, Buenos Aires, CEDES, 1981.
12 Pierre Rosanvallon, La nouvelle question sociale. Repenser l'Etat-Providence, Paris, Seuil, 1995.
13 Dans le don moderne, selon Alain Caillé, se produit le passage d’une relation marchande ou bureaucratique, propre à la socialisation secondaire, à la prééminence d’une socialisation primaire. Mais pour ne pas porter atteinte au statut personnel, il est nécessaire de faire un pas supplémentaire : le retour à la socialisation secondaire. Le don est alors réalisé en fonction de certaines formes typiques de l’échange dans une situation normale. Cf. Alain Caillé, Don, intérêt et désintéressement. Bourdieu, Mauss, Platon et quelques autres, Paris, La Découverte/MAUSS, 1994 et « Ni holisme ni individualisme méthodologique. Marcel Mauss et le paradigme du don », Revue du MAUSS, n° 8, 1996, pp. 12-58.
14 Cf. Silvia Sigal et Gabriel Kessler, « Comportements et représentations dans une conjoncture de dislocation des régulations sociales. L'hyperinflation en Argentine », Cultures & Conflits, n° 24-25, Hiver 1997, pp. 35-72.
15 Cf. Silvia Sigal et Gabriel Kessler, « Comportements et représentations dans une conjoncture de dislocation des régulations sociales. L'hyperinflation en Argentine », Cultures & Conflits, n° 24-25, Hiver 1997, pp. 35-72.
16 Paugam définit la « pauvreté » comme une condition socialement reconnue et les « pauvres » comme « un ensemble de personnes dont le statut social est défini, pour une part, par des institutions spécialisées de l’action sociale qui les désignent comme tels. » Cf. Serge Paugam, La disqualification sociale. Essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, PUF, 1991, p. 24.
17 Cf. Etienne Balibar, Les frontières de la démocratie, Paris, La Découverte, 1992.
18 Dans Poverty and Famines, Amartya Sen étudie ce qu’on appelle la « Great Bengal Famine » de 1943-44. Après avoir observé que, pendant cette période, la production de riz, principal aliment des bengalis, n’avait pas diminué, Sen se concentre sur les problèmes d’accès aux aliments de la part des groupes les plus dévastés par la famine. Il démontre que la cause principale de la famine a été la diminution violente pour ces groupes de leurs possibilités d’acquérir légitimement de la nourriture qui était effectivement disponible. Il développe un ensemble de nouveaux concepts qu’il affinera par la suite dans une série de travaux, et que l’on connaît comme la « entitlement approach ». Ce concept permet d’analyser les différents problèmes d’accessibilité aux biens et aux services. Cf. Amartya Sen, Poverty and Famines, Oxford, Clarendon, 1981.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Gabriel Kessler, « L'expérience de paupérisation de la classe moyenne argentine »Cultures & Conflits [En ligne], 35 | automne 1999, mis en ligne le 16 mars 2006, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/conflits/173 ; DOI : https://doi.org/10.4000/conflits.173

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Auteur

Gabriel Kessler

Cet article reprend certains thèmes développés dans une thèse de doctorat en sociologie Le processus de paupérisation de la classe moyenne argentine (1976-1995) dirigée par Daniel Pécaut et soutenue à l’EHESS en 1998.

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