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Mettre la prison à l’épreuve. Le GIP en guerre contre l’ « Intolérable »

Grégory Salle
p. 71-96

Résumés

Cet article illustre une modalité spécifique de résistance à l’ordre carcéral : celle d’une lutte collective menée par un groupe extérieur à la prison, le Groupe d’Information sur les Prisons (GIP). Fondé en 1970-1971 à l’initiative de Daniel Defert et Michel Foucault, le GIP fait figure de paradigme critique, au sens où il déploie une activité contestataire totale, tant intellectuelle que militante. Il s’agit d’abord de restituer les conditions de création du GIP. Dans un espace des possibles ouvert par la crise de Mai 68, celles-ci résultent d’une subversion de l’expérience carcérale vécue par des militants maoïstes incarcérés. Ce retournement de la réclusion s’est opéré autour de la question d’un statut des « prisonniers politiques ». Ensuite, plusieurs traits saillants du GIP sont retracés, en particulier la multiplicité de ses moyens d’action, ainsi que son ambition de constituer une « entreprise de problématisation ». Dans le même temps, l’article explicite quelques enjeux méthodologiques soulevés par l’analyse des rapports entre le GIP et sa cible, les prisons, donc l’Etat.

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Texte intégral

« Oui, pour les jeunes gens, cette réclusion est horrible et, hochant la tête, la tante alluma aussi une cigarette.
– J’imagine qu’elle l’est pour tout le monde, répondit Nekhlioudov.
– Non, pas pour tout le monde. Pour de vrais révolutionnaires, m’a-t-on dit, c’est un repos, un calmant. A celui qui vit dans l’illégalité, l’existence est une perpétuelle alerte, pleine de privations, remplie de crainte pour lui-même, pour ses camarades, pour la cause. Une fois pris, tout est fini, plus de responsabilité : tiens-toi tranquille, et repose-toi ».

  • 1 Ce roman de Tolstoï, qui raconte la découverte concrète de la lutte des classes par un propriétaire (...)

Léon Tolstoï, Résurrection, 18991

  • 2 Je remercie Dominique Linhardt, Cédric Moreau de Bellaing et les lecteurs anonymes pour leurs lectu (...)
  • 3 Nous reprenons une expression attribuée à Bernard Lacroix, puis banalisée par les historiens de l’I (...)
  • 4 Texte du GIP de mars 1971, cité dans Le Groupe d’Information sur les Prisons – Archives d’une lutte (...)

1La constitution de la prison comme front de lutte politique, dans la première moitié des années 1970 en France, a pour vecteur le retournement du principe intuitif exprimé par le personnage de Tolstoï : l’emprisonnement comme coup d’arrêt2. Que des « éléments subversifs », accusés par l’Etat de mettre sa sûreté en péril et de menacer l’ordre social, soient pris : l’incarcération se conçoit alors aisément comme une voie sans issue, sauf celles de l’isolement et de l’attente, parfois de la mort. On pense à Antonio Gramsci, contraint à transposer le combat sur cahiers. Cependant, à la faveur de certaines circonstances, une autre possibilité peut s’ouvrir : le prolongement de la lutte dans le lieu même de la réclusion, l’exploitation du statut pénalement certifié de réprouvé social comme ressource ultime d’une révolte collective. Les actions déployées par le militantisme des « années 68 »3 donnent à lire l’un de ces épisodes où la prison, sortant de son statut ordinaire d’invisible social, s’est imposée pour un temps sur le devant de la scène politique, pointée par un index accusateur : « Il ne faut plus laisser les prisons en paix, nulle part »4.

  • 5 Defert D., « L’émergence d’un nouveau front : les prisons », in Le Groupe d’Information sur les Pri (...)
  • 6 GIP, Le GIP enquête dans un prison-modèle : Fleury-Mérogis, Paris, Champ Libre, coll. « Intolérable (...)

2La critique anti-carcérale issue, selon une trame complexe, du moment critique des années 1968, constitue l’épreuve la plus radicale à laquelle l’institution carcérale s’est trouvée confrontée depuis la deuxième Guerre Mondiale. Les thèmes traditionnels de la critique de l’institution pénitentiaire, associés soit à ses modalités de fonctionnement, soit plus frontalement à la nature même de sa fonction, se sont en effet réunis, s’appuyant de surcroît sur une critique politique globale, faisant de la prison un front spécifique dans un combat général5. Cette combinaison inédite produit la remise en cause offensive d’une institution qui réalise le monopole étatique de la violence légitime dans l’angle mort du regard public. A travers la prison, c’est l’Etat lui-même qui est visé. C’est la prison quintessence de l’Etat, bras armé foudroyant de la souveraineté et de la domination : « Sont intolérables : les tribunaux, les flics, les hôpitaux, les asiles, l’école, le service militaire, la presse, la télé, l’Etat et d’abord les prisons »6.

  • 7 Notons qu’un tel terrain permet de convoquer plusieurs acceptions du terme et de mener l’analyse à (...)
  • 8 C’est par raccourci obligé que l’on parle ici « du » GIP, comme s’il était une entité fixe et stabl (...)

3A travers l’épreuve subie par l’institution carcérale dans les années 1968, l’enjeu de cette étude est donc de décrire par quels mécanismes celle-ci s’est trouvée si profondément discréditée dans certaines sphères de l’espace public, que seule une entreprise de refondation active de sa légitimité a pu réinstaurer l’apaisement nécessaire à l’accomplissement de ses fonctions sociales – comme si rien ne s’était passé. Cela suppose d’expliquer le processus qui a conduit à constituer la prison en objet politique7. L’entreprise critique engagée par les « gauchistes » consiste en effet à thématiser publiquement l’emprisonnement comme un problème paradoxalement collectif. D’inique et d’intolérable pour les cercles militants, la prison a pu être plus largement perçue comme une institution déficiente et même intrinsèquement néfaste. Nous retraçons ici quelques unes de ces modalités de politisation, lancées d’abord par des détenus maoïstes puis systématisées par le Groupe d’Information sur les Prisons (GIP). En restituant l’ampleur de l’activité intellectuelle et militante du GIP8, en abordant aussi les problèmes méthodologiques que soulève son analyse, il s’agit de le figurer comme un paradigme critique.

Du terreau spéculatif à l’expérience charnelle

  • 9 Sur ces réformes replacées dans une série historique de longue durée, voir Faugeron C., Le Boulaire (...)

4Depuis l’après-guerre et les réformes Amor9, en dépit d’une quiétude troublée par les luttes des détenus du FLN, les prisons françaises sont recroquevillées à l’ombre des « Trente Glorieuses ». C’est moins la crise de Mai 68 elle-même qui les remet sous les projecteurs, que la combinaison d’effets différés de la contestation gauchiste et de l’expérience carcérale immédiatement vécue par une poignée de militants. Visant à faire voir la réalité « intolérable » sous l’objet consensuel, la dénonciation portée dès février 1971 par un groupe spécifique, le GIP, se fonde initialement sur la découverte d’une réalité méconnue par des membres de la principale organisation maoïste : la Gauche Prolétarienne (G.P.). La politisation de la question carcérale trouve son origine dans l’enjeu du statut réel des « prisonniers politiques », pour s’élargir aussitôt. C’est une redoutable conjonction : extension des potentialités militantes inscrites dans l’époque d’une part, expérience de la réclusion vécue par des militants incarcérés de l’autre. La relégation de ces individus par l’Etat, au lieu de provoquer leur mutisme, allume au contraire un foyer inattendu de contestation.

La distillation des effets de « 68 »

  • 10 « Entretien avec Michel Foucault », Dits et Ecrits (D & E), t. 4, Paris, Gallimard, 1994, n°281, p. (...)

5Les rapports embrouillés qui nouent la contestation de la prison aux mouvements de Mai 68 sont plus contingents que ne le laisse présumer la logique intuitive de leur proximité. Ils peuvent se résumer ainsi : si Mai 68 ne suffit pas à expliquer la mobilisation contre les prisons, et notamment la création du GIP, a contrario celle-ci ne peut se comprendre qu’à la lumière de Mai. « Il est certain que, sans Mai 68, je n’aurais jamais fait ce que j’ai fait, à propos de la prison, de la délinquance, de la sexualité. Dans le climat d’avant, ce n’était pas possible » déclarait Foucault lui-même10. Dès lors, la dynamique contestataire foisonnante qui y prend sa source, et dont l’impact se délaye au cours des années suivantes, prépare sur les plans axiologique et militant un terrain favorable à l’éclosion d’un tel possible.

  • 11 Sur la centralité historique du salariat comme vecteur du conflit politique, voir Castel R., Les mé (...)

6Il est d’abord question d’un déplacement dans la manière de concevoir la révolution, et plus largement les finalités et les modalités de la dénonciation et de l’action politiques. Les représentations de la révolution, et plus largement les finalités et les modalités de ce qu’est une action politique efficace se déplacent. A cet égard le gauchisme s’est développé de manière inquiétante aux yeux du Parti Communiste Français. La « maladie infantile du communisme » menace la prédominance du credo marxiste-léniniste exprimé par la voix du représentant monopolistique de l’opposition officielle, conjointement révolutionnaire et parlementaire. La doctrine officielle du PCF fait reposer l’espoir révolutionnaire sur des postulats léninistes qui misent sur la conquête organisée du pouvoir central. Les impératifs de la lutte des classes, associés à la primauté accordée aux rapports d’exploitation économique masquent l’émergence de revendications d’ordre culturel disqualifiées comme « petites bourgeoises », ou de terrains d’action considérés comme oiseux. Le gauchisme cherche donc à s’imposer avant tout comme une pratique, qui puisse renouveler une action révolutionnaire jugée trahie par les compromissions du communisme français. La structuration du conflit politique ne s’articule plus exclusivement autour de la question du travail, du rapport salarial, de la répartition de la plus-value. Le soubassement formé par la détermination en dernière instance de la domination proprement économique est remis en cause11. En somme, la physionomie des questions et des actes politiquement urgents se modifie.

  • 12 Althusser L., « Idéologie et appareils idéologiques d’Etat », Positions (1964-1975), Paris, Edition (...)
  • 13 Sur l’UJCml et la G.P., voir notamment Sommier I., La violence politique et son deuil. L’après-68 e (...)

7Cette mutation n’est cependant pas exactement assimilable à un basculement du communisme vers le gauchisme. La fractalisation de la conception révolutionnaire a été préparée par la nébuleuse oppositionnelle mûrie au sein du PCF sous l’égide de Louis Althusser. La tentative althussérienne de rénovation et de prolongement du marxisme opère comme pivot à un double niveau. Le premier est d’ordre théorique : le succès remporté par son analyse des Appareils Idéologiques d’Etat (AIE)12 marque la transition de la conception marxiste traditionnelle vers un remaniement des fondements de la pratique. L’accent est porté sur les courroies de transmission par lesquelles s’exerce l’imposition du pouvoir de l’Etat, fonctionnant selon une dominante tantôt répressive, tantôt idéologique. Evoquant les arrangements fonctionnels nécessaires et l’ « harmonie grinçante » de l’Etat bourgeois, et disqualifiant dans le même temps la distinction entre public et privé comme un partage institué par le droit bourgeois, la thèse a contribué à donner de ce dernier une présentation plus réticulaire. Faire la révolution n’est plus synonyme de la prise d’assaut d’un nouveau Palais d’Hiver. Le second niveau est d’ordre militant. C’est au départ sous la bannière althussérienne que se fonde au milieu des années 1960 l’UJCml (Union des Jeunes Communistes marxistes-léninistes) avant de s’en affranchir progressivement. La Gauche Prolétarienne en est directement issue, avec l’adjonction d’anciens du « mouvement du 22 mars »13. Or l’importance de la G.P. est ici décisive, puisque son action ouvre la brèche pénitentiaire.

  • 14 Foucault M., Il faut défendre la société, cours au Collège de France 1975-1976, Paris, Gallimard/Le (...)

8Si les perceptions et les lignes d’action politiques se décalent, les positions révolutionnaires sont néanmoins affirmées. La Révolution reste à l’ordre du jour. Mais elle est défendue par des voies différentes, focalisées sur des objectifs ciblés : l’usine, l’école, l’asile, la prison. L’objectif demeure la subversion voire le renversement du système global, mais par des luttes locales conçues comme autant de batailles participant d’une guerre commune. Puisque les ramifications de l’Etat sont interdépendantes, le pari consiste en une sorte d’effet sismique destiné à ébranler, de proche en proche, l’ensemble des structures « étatiques » et/ou « capitalistes ». En récusant les processus paralysants du centralisme et de la totalisation, il s’agit de louer « l’efficacité des offensives dispersées et discontinues »14. C’est un infléchissement de taille quant à la conception de la stratégie révolutionnaire, et une opposition frontale à la prégnance du credo léniniste. Tous les espaces sont potentiellement des terrains d’action à investir. Il n’y a plus de forme ou de contenu nécessaires, ni de moyens infaillibles pour l’advenue d’un bouleversement radical : tous les possibles sont exploitables. Le lien entre global et local est repensé sur le mode de l’intimité, et non de l’altérité. Le GIP est l’héritier de ces changements. Il mettra en avant l’importance de foyers épars de résistance et de séries de contre-feux plutôt qu’un lieu illusoire où se jouerait la lutte entre Pouvoir et Grand Refus.

  • 15 Foucault M., Il faut défendre la société, op. cit., p. 7.

9Cette optique se double d’un processus de « politisation du quotidien ». Comme pour contrecarrer la tournure trop abstraite des grands débats théoriques, on s’efforce de penser ce qui touche aux conditions de vie concrètes des individus, du moins de certaines catégories marginalisées. Cette attention s’incarne plus spécifiquement dans la problématisation du corps, à la fois comme support de l’épanouissement individuel et comme vecteur politique. Elle pousse par extension à la critique de ce qui se présente comme le plus immédiat et le plus évident, ainsi que l’exprime Foucault a posteriori : « depuis dix ou quinze ans, l’immense et proliférante criticabilité des choses, des institutions, des pratiques, des discours ; une sorte de friabilité générale des sols, même et peut-être surtout les plus familiers, les plus solides et les plus [proches] de nous, de notre corps, de nos gestes de tous les jours ; c’est cela qui apparaît »15. Ces évolutions, immergées dans une période historique de hautes eaux idéologiques et inscrites dans un contexte socio-économique objectivement et subjectivement favorable, élargissent les répertoires d’action disponibles et favorisent le passage à l’acte militant. La mobilisation anti-carcérale s’inscrit parfaitement dans cette ouverture de l’espace des possibles. Elle contribue en outre à l’explicitation d’une représentation restée vague au sein des mouvements immédiatement issus de 68 : l’idée qu’il faut donner une voix aux sans-voix, qu’il faut libérer les paroles historiquement censurées, refoulées, proscrites.

Subvertir la réclusion

  • 16 Guattari F. (entretien avec), « Antipsychiatrie, antipsychanalyse », Le Magazine littéraire, n°112- (...)
  • 17 Perrot M., « La leçon des ténèbres. Michel Foucault et la prison », Actes. Cahiers d’action juridiq (...)

10Défaisons-nous d’une vision simpliste des événements qui lient Mai 68 à la lutte anti-carcérale. A priori, rien de surprenant : c’est le trait saillant de la période que d’animer une contestation tous azimuts, que de déployer des mots d’ordre anti-autoritaires. On ne verrait guère de raisons pour que la prison s’en trouve à l’écart. Or, ce serait faire de 68 un bloc, et méconnaître le caractère protéiforme et incertain de la diffusion de ses effets et de la pluralité de ses temporalités. En fait, au dire même de Félix Guattari, les événements de la fin des années 1960 sont passés largement à côté des prisons : « la mise en question de la prison (…) n’a été que très partielle en 1968 »16. Dix ans plus tard, l’assertion est appuyée par l’historienne Michelle Perrot : « 1968 avait ignoré les prisons où, pourtant, son écho avait fortement pénétré »17. Dans un premier temps, le rapport de 1968 aux prisons est paradoxal : de la critique anti-institutionnelle généralisée, l’institution coercitive par excellence est pour l’essentiel exclue.

11Plusieurs raisons y concourent. L’une est d’ordre socio-cognitif : l’ignorance en matière carcérale est partagée par les étudiants, que leurs trajectoires sociales ne prédisposent guère à s’intéresser outre mesure à la prison. En ce sens, celle-ci est à l’ombre du pouvoir, mais également de la critique du pouvoir. Le caractère hors-normes de l’enfermement fait surgir le manque de réactivité de certains militants, qui aux yeux de leurs pairs assimilent trop vite l’incarcération des leurs à une mise au rebut définitive :

  • 18 Document sans titre préparé par l’OPP, « petit groupe assurant la défense et l’organisation des pri (...)

« [Un] manque de sollicitude pour les emprisonnés allant jusqu’à leur abandon complet (…) briser l’indifférence de certains camarades vis-à-vis des emprisonnés : à de rares exceptions, la sollicitude à l’égard des prisonniers ©n’existe pas et beaucoup dans la pratique font comme si ‘un militant emprisonné était un militant mort’ »18.

  • 19 « De toutes les classes subsistant aujourd’hui en face de la bourgeoisie, le prolétariat seul forme (...)
  • 20 Voir l’article « Lumpenprolétariat », in Labica G., Bensussan G. (dir.), Dictionnaire du marxisme, (...)
  • 21 Voir Artières P., « L’ombre des prisonniers sur le toit. Les héritages du GIP », in Eribon D. (dir. (...)

12Une deuxième raison est plus directement politique : elle tient au manque de crédit, pour ne pas dire à l’hostilité, auquel était en butte la population détenue chez les marxistes. En écho à la méfiance de Marx19, et à la franche hostilité de Lénine20, et la vulgate ne fait guère de concessions : les prisonniers sont assimilés au lumpenprolétariat, dont la position entraîne l’incapacité à forger une conscience de classe à partir d’une solidarité de situation, entrave la construction de l’unité prolétarienne et dessert son action. Au pire classe ennemie, au mieux couche parasitaire, la fonction dissolvante du sous-prolétariat rend sinon inenvisageable, du moins inopérante une alliance stratégique21.

  • 22 Voir « Le combat des détenus politiques », Paris, Maspéro, 1970, textes rassemblés par « un groupe (...)

13La politisation de la question carcérale ne peut simplement être mise au crédit de la rencontre entre prison et gauchisme, en suggérant une collision purement spéculative. S’il s’agit bel et bien d’une rencontre, c’est au sens le plus matérialiste. Le scandale pénitentiaire prend corps dans le giron du gauchisme avec l’expérience carcérale directement vécue par certains d’entre eux, la découverte d’un monde clos dont ils ne soupçonnaient guère le fonctionnement concret et secret. Ce lieu marginal va alors être investi politiquement et se transformer en un espace de luttes, réfractant des problématiques plus larges : « Les militants en prison continuent le combat : ils attaquent le système des prisons, ils utilisent les procès que leur fait le pouvoir pour un combat systématique contre le justice bourgeoise »22. C’est toute une série historique, dans ses logiques et ses contingences, qu’il faut reconstituer entre l’action de la Gauche Prolétarienne, la naissance du GIP, et la construction réciproque des modalités de la réaction étatique. La politisation de la thématique carcérale ne se limite pas aux effets endogènes de la révolte. Elle est intrinsèquement liée aux modalités de la répression étatique, qui a causé la présence intra-muros d’individus classés comme une menace pour l’Etat.

  • 23 Les directeurs de La Cause du Peuple, ainsi qu’Alain Geismar ont notamment été écroués. Ce dernier (...)
  • 24 Cité par Sommier I., op. cit., p. 40.
  • 25 Geismar A., cité dans Le Groupe d’Information sur les Prisons – Archives d’une lutte, op.cit., p. 1 (...)

14La question des prisonniers politiques surgit au premier plan à la faveur de l’emprisonnement de plusieurs militants maoïstes. La G.P., officiellement dissoute, survit clandestinement dans un climat marqué par une intensification de la répression que condense la loi anti-casseurs promulguée fin avril 1971. Une trentaine de militants découvrent alors un univers pénitentiaire soustrait au regard commun. Confrontés aux difficultés des conditions de détention, ils décident de poursuivre la révolte à partir du lieu de leur enfermement. Retournement radical, dans la mesure où le lieu en question est censément celui de la punition, de la soumission, de l’atomisation des individus, et que tout son fonctionnement conspire au maintien de la discipline, du calme, de l’absence de troubles. L’architecture est conçue pour empêcher toute forme de solidarité, sans parler des capacités de réunion et des moyens logistiques que réclame la lutte politique. La rigidité pénale fait reposer ses justifications sur les états de service des nouveaux condamnés : Alain Geismar, par exemple23 est le co-auteur d’un livre intitulé Vers la guerre civile, lequel proclame que « Sans vouloir jouer aux prophètes : l’horizon 70 ou 72 de la France, c’est la révolution (…) Mai, en France, c’est le début d’une lutte de classes prolongée. Voici les premiers jours de la guerre populaire contre les expropriateurs, les premiers jours de la guerre civile »24. En retour, la tonalité discursive des gouvernants est à la fermeté face aux agitateurs, et invoque la défense des institutions et de la paix civile. Une ruse de l’histoire qui peut faire dire : « La bourgeoisie, qui voulait mettre la révolte en prison, se retrouve avec les prisons en révolte »25.

  • 26 Voir à ce sujet Siméant J., La Cause des sans-papiers, Paris, Presses de la FNSP, 1998 ; « La viole (...)
  • 27 Forme de chantage a priori étrange des plus dominés face à l’Etat souverain, qu’on peut mettre en r (...)

15La grève de la faim est l’arme mobilisée par les maoïstes reclus. Comme répertoire d’action politique, celle-ci appartient usuellement à des individus ou des groupes faiblement représentés institution-nellement et dominés politiquement. Ne disposant que de très faibles ressources pour s’ouvrir une porte d’entrée dans le système politique et faire valoir leurs droits ou faire reconnaître leur situation, leur pouvoir d’influence s’avère extrêmement étroit. La grève de la faim opère de ce fait comme une tactique de retournement de la violence, qui s’exerce alors par soi-même contre soi-même. Elle met en jeu et en scène la seule ressource disponible : le corps26. Son efficacité découle de la combinaison de son pouvoir symbolique et de sa radicalité, qui joue sur le danger, la douleur, la mort : une économie du sacrifice et de la menace. Cette dramatisation dans la structuration du conflit se double d’un effet de resserrement de la temporalité pertinente, le pouvoir étant sommé d’agir vite27.

  • 28 Lire l’article de Dominique Linhardt dans ce numéro.

16Les grèves de la faim qui se produisent à la charnière 1971-1972, à l’intérieur des prisons, s’écartent sensiblement de ce modèle générique. Ce n’est pas la position structurelle dans l’ordre socio-politique qui conditionne le mode d’action, mais la situation extraordinaire dans laquelle sont pris les acteurs. La mobilisation du corps ne pallie donc pas ici une incapacité relative à verbaliser la contestation. Il n’est pas le substitut à une parole manquante ; ou plutôt, les contraintes qui enserrent le potentiel de propagation de cette parole ne sont pas dues aux caractéristiques personnelles des protagonistes, mais dépendent d’un espace dont le but est d’étouffer la circulation de la parole. De plus, comme ce sera plus tard le cas des prisonniers politiques en Allemagne28, il ne s’agit pas pour ces détenus de se placer dans une logique de reconnaissance du pouvoir en place, mais au contraire d’exposer une hostilité totale, qui engage dans la lutte toutes les ressources possibles. Après une première grève de la faim soldée par un relatif échec, celle qui débute en janvier 1971 produit l’étincelle. C’est que d’autres formes de protestation publique en amplifient l’écho : pétitions, manifestations, visites, interpellations à l’Assemblée Nationale. Soutenue et médiatisée, l’action établit un contact entre le « dedans » et le « dehors ». L’isolement fournit ainsi simultanément le point d’appui et la cible de la lutte, qui se cristallise autour de la question d’un « statut politique ».

« Politiques » ou « droit commun » ?

  • 29 Defert D., Donzelot J., « La charnière des prisons », Le Magazine littéraire, 1976, n°112-113,  p. (...)
  • 30 Voir Le Monde du 3 septembre 1970.

17Les grévistes se présentent comme des « prisonniers politiques ». Leurs revendications concernent par conséquent l’octroi du statut correspondant. L’objectif de cette requête est doublement stratégique : d’abord, faire avouer au pouvoir qu’il enferme des opposants ; ensuite, obtenir de ce régime la possibilité de rester en contact avec leur organisation grâce aux droits à l’information et de réunion29. Mais elle donne l’impression que ces prisonniers estiment constituer une élite, se sentent à part et au-dessus de leurs congénères, et entendent profiter de privilèges découlant d’une position avantagée. Dans un premier temps, la défiance domine et les rapports avec les « droit commun » sont tendus. Le ministre de la Justice s’appuie du reste sur ce point faible pour discréditer les militants : il les accuse de réclamer des faveurs indues, de ne chercher qu’un peu de publicité, pour « attirer sur eux l’attention de l’opinion publique »30. Cette déclaration donne corps à un axe problématique important : outre les deux protagonistes saillants, les tiers ne sont pas exclus mais intégrés au conflit. Ils ne peuvent être relégués au statut flou d’un « contexte ». Ils sont pris à témoin, mandés, requis ; ils sont un référent sur lequel cherchent à s’appuyer les arguments, et une présence enchâssée dans les stratégies développées. L’image d’un « bras de fer » entre le pouvoir et les grévistes, par son effet bipolarisateur, se révèle à ce titre partiellement trompeuse.

  • 31 Voir le texte « écrit dans les prisons de France » du 1er septembre 1970, cité dans Le Groupe d’Inf (...)
  • 32 La Cour de Sûreté de l’Etat, créée en 1963 à l’initiative de C. de Gaulle, était une juridiction d’ (...)

18Les maoïstes avaient d’emblée affirmé la portée générale de leur dénonciation31. Progressivement, ils associent plus clairement leur condition avec celle de l’ensemble des prisonniers. Pour contourner une revendication qui serait perçue comme corporatiste, ils s’efforcent de donner à leur lutte un sens explicitement collectif. Ici prennent forme les prémices d’un brouillage des catégories classiques droit commun/politique, l’absorption de l’une dans l’autre composant l’une des problématiques développées par le GIP. Or, ce fameux « régime politique » est ignoré par le droit français. Il n’a aucune existence juridiquement reconnue. Seul existe un « régime spécial », forgé par les luttes passées de détenus du FLN, et utilisé plus tard pour des membres de l’OAS. Dans un premier temps, le Garde des Sceaux refuse de l’accorder. D’une part, le gouvernement craint que son accord soit perçu comme un aveu de faiblesse susceptible d’encourager d’autres actions de la mouvance gauchiste. D’autre part, il lui faut éviter la défaite symbolique qui résulterait d’une assimilation entre régime spécial et régime politique : rappeler l’inexistence de ce dernier est capital. Au final, un relatif assouplissement est octroyé, mais il concerne exclusivement ceux dont l’action est considérée comme strictement politique, c’est-à-dire ceux qui encourent un jugement de la Cour de Sûreté de l’Etat32.

19L’attitude ambivalente des autorités envers la définition d’un statut politique mérite examen. Elle met en relief une contradiction dans le jeu des assignations d’identité. Pour quels motifs un argument légaliste est-il mobilisé ? Non pas pour dénier un statut politique spécifiquement aux détenus concernés – par exemple, parce qu’ils ne rempliraient pas les conditions nécessaires pour entrer dans cette catégorie, ou parce qu’ils ne le mériteraient pas du fait de la gravité de leurs actions. Le refus, de fait, est fondé sur l’argument que le statut politique n’existe pas, puisqu’il n’a pas fait l’objet d’une codification juridique en tant que tel. Sous ce prétexte, la condition des détenus est rabattue sur l’état des catégorisations juridiques établies au moyen d’un procédé inductif : puisque le statut juridico-pénitentiaire de prisonnier politique n’est pas formellement reconnu, il ne saurait exister de prisonniers politiques, ceux-là pas plus que d’autres. Ce déni est aussi un moyen de réaffirmer l’indépendance du circuit judiciaire vis-à-vis du « bon plaisir » du pouvoir politique, face à des militants qui entendent démasquer la subordination des tribunaux au gouvernement.

  • 33 « [C]’est plus qu’un tribunal bourgeois, c’est un tribunal fasciste qui entre en jeu quand l’appare (...)

20Mais simultanément, ces prisonniers se voient objectivement attribuer un statut politique via le mécanisme d’appellation conféré par la juridiction spéciale responsable de leur sort. L’absence de formalisation légale du régime « politique » est paradoxalement concurrencée par un traitement judiciaire explicitement politique. En effet, les inculpés ne sont pas jugés par les tribunaux usuels, mais par une institution exceptionnelle. Elle n’est pas un appareil secrété par l’autonomie judiciaire, mais une institution spéciale, étroitement liée à l’essence de la souveraineté. Sa mission est définie par sa compétence statutaire à juger ceux dont on considère qu’ils n’ont pas seulement enfreint les règles communes, mais constituent un péril pour la sécurité de l’Etat. En cela, les maoïstes incriminés sont bien considérés comme des détenus spécifiquement politiques. Ces derniers ne s’y trompent pas : ils s’appuient sur cette contradiction pour dénoncer leur tribunal, accusé en même temps d’être le bras armé de la répression bourgeoise, voire « fasciste »33, et d’être un tribunal fantoche. A la barre, l’argument des individus incriminés consiste ainsi à déclarer que la procédure au moyen de laquelle ils sont jugés trahit la vraie nature du régime. Elle en dissipe le vernis respectable.

21Cette double désignation (cette double injonction contradictoire) exprime la complexité des manœuvres symboliques en jeu pour la définition de la réalité. Le périmètre de cette lutte n’est pas circonscrit à un affrontement binaire, mais se comprend par la présence de tiers (comme « le peuple français » ou « les masses ») qu’il s’agit de convaincre et dont les protagonistes se font les porte-parole. C’est auprès d’elles que doit porter l’action, dans la mesure où il est toujours nécessaire pour les militants de contrer la « propagande » de l’Etat. Toujours incertaine, la lutte porte en elle un potentiel de cristallisation susceptible ou non de se muer en scandale politique, selon les coups réussis ou manqués de ceux qui cherchent la propagation, et de ceux qui jouent pour l’étouffement.

Une « intolérance active » : Le Groupe d’Information sur les Prisons

  • 34 Se référer à la chronologie détaillée dansLe Groupe d’Information sur les Prisons – Archives d’une (...)
  • 35 Entretien avec Daniel Defert (que je remercie ici), novembre 2000. Initialement publié dans La Caus (...)
  • 36 Voir sur ce différend Foucault M., « Sur la justice populaire : Débat avec les maos », D & E, t. 1 (...)
  • 37 Tract, s.l., s.d. [distribué lors de la conférence de presse du 8 février], archives GIP/IMEC.

228 février 1971 : dans un contexte houleux34 est annoncée la création officielle du Groupe d’Information des Prisons. Le groupe se forme de fait depuis le mois de décembre 197035. Daniel Defert sert d’interface entre l’ex-G.P. et Foucault. Compagnon de ce dernier, il milite à la G.P. depuis son interdiction, et propose le nom de Foucault à son organisation alors qu’elle s’active à faire surgir la problématique carcérale. Comme il participe au groupe chargé de préparer le procès des maoïstes incarcérés, il suggère au philosophe d’animer une commission d’enquête sur les prisons inspirée par celle qui avait travaillé sur la santé des mineurs pour le « tribunal populaire » de Lens, dont Sartre avait été le procureur. Mais les termes de « commission d’enquête », et a fortiori de « tribunal populaire », ne sont guère du goût de Foucault. Trop marqués de l’empreinte judiciaire, ils charrient avec eux l’ensemble des représentations et des dispositifs bourgeois qu’ils croient subvertir36. L’occasion est plutôt pour lui de créer une expérience singulière, partiellement affranchie des réflexes gauchistes. Il s’agirait de créer conjointement de nouvelles pratiques et de nouveaux énoncés. Outre le manifeste fondateur souvent cité, qui met en avant la « volonté de savoir » une réalité occultée, un tract distribué le même jour donne le ton : « On traite les détenus comme des chiens. Le peu de droits qu’ils ont n’est pas respecté. Nous voulons porter ce scandale en plein jour »37.

Les dimensions du conflit

  • 38 Foucault M., Il faut défendre la société, op. cit. C’est ainsi que Paul Veyne a pu qualifier son am (...)
  • 39 Citations issues respectivement de : « l’illégalisme et le pouvoir de punir », D & E, t. 3, n°175, (...)
  • 40 Tilly C., « Les origines du répertoire de l’action collective contemporaine en France et en Grande- (...)

23L’expérience militante du GIP s’est avérée décisive pour Foucault, l’incitant à s’intéresser pleinement à l’analyse des rapports de pouvoir. Elle fut le prélude de ses analyses appuyées sur le modèle d’intelligibilité de la guerre, des stratégies et des batailles : hypothèse de Nietzsche contre hypothèse de Reich38. C’est sous ce rapport que l’action du GIP peut être restituée, en faisant voir la multiplicité des moyens par lesquels il fourbit ses armes et prépare des assauts de tous types et de chaque instant. Le champ sémantique de la guerre est largement exploité tant dans les documents du GIP que dans les interventions de Foucault. Ici, le groupe répartit des informations et « repère des cibles pour une action possible » ; là, il est question de faire « un relevé topographique et géologique de la bataille », avec ses « points forts » et ses « lignes de fragilité ». Pour l’ « armurier », pour celui qui aimerait que ses livres fassent l’effet « de cocktails Molotov ou de galeries de mine », tout est bon pour propager la perception de l’intolérable39. D’où le retournement de l’adage clausewitzien : « la politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens ». S’exercer à l’art de la guerre nécessite de mobiliser des troupes, et de se placer du côté des forces actives et non réactives. Le GIP entend donc puiser avec maximalisme dans l’ensemble des potentialités du répertoire d’action dont il s’ouvre l’accès40. Ses offensives se veulent plus efficaces en étant protéiformes et anonymes.

  • 41 Bourdieu P., « Le paradoxe du sociologue », Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984, p. 86-94  (...)

24Pour qui se donne comme tâche un examen quelque peu distancié d’un mouvement comme le GIP, deux points de méthode méritent attention. D’une part, le recours aux moyens d’action s’appréhende sous un jour dynamique et tactique : il se recompose et s’ajuste perpétuellement en fonction de visées et de circonstances situées. Le GIP, malgré sa courte durée de vie (à peine deux ans), n’est pas un bloc monolithique, comme en témoigne sur un autre plan la diversité de ses composantes (extrême gauche, chrétiens sociaux, étudiants, praticiens, simples citoyens). Les actions mises en place s’élaborent en fonction de moments précis jugés propices. D’autre part, l’analyse fait face à une des formes du « paradoxe du sociologue » évoqué par Bourdieu, à savoir le caractère indissociable de la théorie de la connaissance et de la théorie politique, la dimension inséparablement cognitive et politique des dénominations et des classifications41. En l’occurrence, la difficulté porte sur les opérations de qualification par lesquelles le sujet objectivant cherche à rendre compte de son objet et de ses acteurs. Le choix d’une définition n’est jamais neutre, quelle que soit sa pondération formelle. Cette banalité s’avère a fortiori vérifiable lors de moments d’intensification politique au cours desquels les positions se rigidifient, et laissent apparaître plus clairement combien les définitions de soi et des autres constituent un enjeu premier, et non accessoire, des luttes sociales. Prendre acte du fait que la bataille se déroule aussi sur le plan des mots, que la guerre est de plein droit sémantique, commande d’intégrer pleinement cette dimension dans l’objectivation. C’est se rendre sensible aux mécanismes réciproques d’assignation d’identités qui se jouent entre les protagonistes, chacun essayant d’étendre ses perceptions subjectives au rang de réalité objective. Prendre en compte le fait que les présentations de soi, des alliés et des adversaires sont un enjeu plein et entier de la lutte incite en conséquence à congédier les définitions stables et surplombantes posées a priori.

  • 42 « La règle de méthode qui consiste à laisser les acteurs s’entre-définir les uns les autres peut ac (...)
  • 43 Expression d’un avocat tirée de « Activités du GIP (2) », s.l., s.d., archives GIP/IMEC.
  • 44 Communiqué du ministère de la Justice du 12 janvier 1972.

25Saisir ces manœuvres de (dé)valorisation et de (dis)qualification suppose d’adopter un principe méthodologique adéquat, qui sans croire à la possibilité illusoire d’une position de pure extériorité, aménage les conditions d’une approche distanciée. Cette démarche consiste à être attentif aux manières dont les acteurs se définissent et s’entre-définissent, et suivre leurs opérations d’attribution d’identités propres et réciproques42. Le GIP donne ainsi de lui des définitions fluctuantes, qui sont un débat interne autant qu’un enjeu stratégique vis-à-vis de l’extérieur. Inversement, les représentants de l’Etat s’efforcent de le compromettre, en tentant de le faire passer pour un GIP qui signifierait « Groupement d’Intoxication du Public »43. La Chancellerie accuse le GIP d’être, à la lettre, un chef d’orchestre clandestin, qui téléguide les révoltes de prisonniers éclatant un peu partout dans le pays. Les communiqués officiels expriment parfaitement ces manœuvres de disqualification. Ils dénoncent ainsi : « des meneurs, encouragés par des groupes extrémistes, extérieurs à la prison, [qui] s’efforcent, présentement, au mépris des vrais intérêts de la population pénale, de susciter une agitation de certains établissements pénitentiaires »44.

  • 45 Voir à ce sujet Joseph I., Erwin Goffman et la microsociologie, Paris, Puf, 2003 [1998], notamment (...)

26Ces questions d’identité valent autant pour le GIP que pour ceux qui parlent au nom de l’Etat. Ces derniers doivent contrer avec dextérité les accusations en termes d’ « Etat policier », tout en se faisant les garants fermes de l’ordre public. La présence des tiers et l’enjeu des dénominations engagent donc les protagonistes dans un travail qu’on peut qualifier, en reprenant le vocabulaire suggestif de la micro-sociologie d’inspiration goffmanienne, de véritable travail de figuration45.

  • 46 Parmi les noms familiers en sciences sociales, citons comme militants ou compagnons Gilles Deleuze, (...)
  • 47 Lettre de René Pleven à Jacques Fauvet datée du 18 juin 1971, archives GIP/IMEC.
  • 48 « Document concernant une réunion nationale du GIP », s.l., s.d., archives GIP/IMEC.

27Parmi les instruments d’action mobilisés par le GIP, tracts et manifestations occupent une place d’honneur. Le meeting le plus marquant date de novembre 1971. Organisé à la Mutualité sur le thème des prisons françaises et américaines, il parvient à regrouper environ 6 000 personnes ; des familles de détenus mais aussi d’anciens prisonniers témoignent publiquement pour la première fois. En outre, la renommée des fondateurs officiels du GIP (Pierre Vidal-Naquet et Jean-Marie Domenach forment avec Foucault le trio signataire du manifeste46) et la richesse de leurs contacts ouvrent des espaces médiatiques de premier rang – les tribunes du Monde, du Nouvel Observateur et d’Esprit font part des activités du collectif et des résultats de ses enquêtes. Cette présence médiatique ne manque pas d’irriter le ministre de la Justice, qui intervient par une lettre auprès du directeur de la rédaction du Monde, pour se plaindre d’un article jugé partisan47. A la recherche d’une autonomie supplémentaire, le GIP a eu un temps le projet de créer un journal d’ « agitation idéologique et de dénonciations précises », sans périodicité prédéfinie, dont il est précisé qu’il doit être celui du GIP et non des prisons ; il ne sera finalement pas concrétisé48.

  • 49 Sur la pièce, voir Le Groupe d’Information sur les Prisons – Archives d’une lutte, op. cit., p. 237 (...)
  • 50 Gavi P., « Foucault », in de Waresquiel E. (dir.), Le Siècle rebelle. Dictionnaire de la contestati (...)
  • 51 Gros F., « L’intellectuel selon Foucault : un jansénisme politique », La Pensée, n°299, 1994, p. 84 (...)

28A ces modes d’intervention traditionnels s’ajoutent des formes atypiques de diffusion de l’information et d’outils de ralliement. Au tout début des luttes, en septembre 1970, pendant un concert des Rolling Stones au Palais des Sports de Paris et avec l’assentiment du groupe, un « mao » solidaire des luttes des prisonniers avait pris la parole devant 10.000 personnes. Une pièce de théâtre est montée avec la complicité d’Ariane Mnouchkine et du théâtre du Soleil, qui reprend le procès des mutins de Nancy49 (Foucault et Deleuze tiennent des rôles de… policiers). En 1972, un film voit également le jour, réalisé par René Lefort et Hélène Châtelain : « Les Prisons aussi… ». Il lève un tabou en libérant la parole d’anciens détenus ; une parole brute, pudique, lucide. Par ailleurs, on rapporte même une scène épique qui évoque Foucault, perruque à la main, fomentant une évasion50… Surtout, le GIP publie plusieurs brochures, héritières des enquêtes ouvrières du XIXe siècle, dont le contenu est presque intégralement à mettre à l’actif des détenus eux-mêmes. Le style des brochures « Intolérable » n’est pas conceptuel, mais purement narratif ou descriptif ; il suffit à attester des mécanismes constitutifs du pouvoir. L’information n’est en effet pas conçue comme d’ordre purement factuel, ni les expériences de chacun comme strictement singulières. Elles sont le ferment d’un savoir collectif et de pratiques coordonnées, qui visent à se muer en « intolérance active ». Enoncer, c’est déjà dénoncer. Dans ce cadre, le rôle de l’intellectuel spécifique n’est ni celui d’un pédagogue, ni celui d’un prophète, mais celui d’un passeur. Il « n’a plus pour objet les valeurs générales d’une humanité de droit, mais les conditions d’existence de tout un chacun (…) les souffrances présentes et les oppressions quotidiennes »51.

  • 52 Formule de Gilles Deleuze, dans « Les intellectuels et les pouvoir », D & E, t. 2, n°106, p. 309.
  • 53 Voir Hulsman L., Bernat de Celis J., Peines perdues, Paris, Le Centurion, 1982.

29L’activité contestataire dont le GIP est dépositaire prend place dans des rapports plus larges, et plus précisément dans les liens qui attachent le groupe à d’autres mouvements. Au compte des alliés, on trouve d’abord l’ex-G.P., qui a fourni un nombre important de militants du GIP. A ses côtés, le Secours Rouge (S.R.), créé en 1970 pour être une « organisation unitaire de défense et de lutte contre la répression », mène avec lui de nombreuses manifestations communes. Les rapports sont néanmoins complexes, dans la mesure où Foucault se veut intransigeant sur l’indépendance du GIP vis-à-vis des associations adjacentes. Il s’agit de rester indépendant et différent, et de défendre « l’indignité de parler pour les autres »52 contre toute délégation faussement représentative, nécessairement parasitaire. Au-delà des frontières, l’action du GIP s’insère dans une constellation internationale de contestation anti-carcérale. Des liens sont noués avec Lotta Continua en Italie et les Black Panthers aux Etats-Unis (la troisième brochure « Intolérable » s’intitule « L’assassinat de Georges Jackson ») ; des échos arrivent de KRUM en Suède. Au cours des années 1970 se développent des critiques connexes du système pénal comme ensemble analytiquement indivisible53. En France, les effets de ce moment critique dont le GIP fut le catalyseur, culminent dans les vagues de révoltes et de revendications qui soulèvent les établissements pénitentiaires en 1971-1972 puis en 1973-1974.

Ouvrir les boîtes noires

  • 54 Latour B., L’espoir de Pandore. Pour une version réaliste de l’activité scientifique, Paris, La Déc (...)
  • 55 « [A]u cœur de cette ville [carcérale] et comme pour la faire tenir, il y a, non pas le ‘centre du (...)
  • 56 « Interview de Michel Foucault », D & E, t. 4, n°353, p. 688-689.

30Pour rendre compte rétrospectivement des actions du GIP, on peut recourir par analogie à des notions forgées pour d’autres problématiques, mais qui permettent de se représenter avec cohérence leurs tenants et aboutissants. Les opérations du GIP se laissent alors décrire dans les termes d’une ouverture de ce que la sociologie des sciences nomme des « boîtes noires ». L’opération de mise en boîte noire touche à l’opacité et l’univocité que projettent les choses faites et figées. Le travail de construction et d’alignement des éléments constitutifs est oublié, les connexions internes occultées, et l’objet n’est plus envisagé que par ses entrées et ses sorties (inputs/outputs). Effet de naturalisation d’une boîte noire : elle ordonne d’une certaine façon l’ordre social, puis obscurcit les processus contingents de sa propre production54. L’univers pénitentiaire se prête aisément à être entendu sous cet angle, mais aussi par extension le système pénal. D’autant que l’idée d’un réseau composé d’entités hétérogènes, fait pêle-mêle de modes d’organisation, d’objets, de schèmes cognitifs parvenus dans un état de stabilité provisoire, entre en résonance avec le travail foucaldien – rapports entre énoncés et visibilités, application aux mécanismes concrets qui véhiculent le pouvoir55. On souhaite ainsi faire entrevoir à la fois comment le GIP conçoit la prison en tant qu’elle est insérée dans des configurations multiples, et en quoi il s’efforce de brouiller les clivages établis. En somme, ouvrir les boîtes noires signifie bien plus qu’obtenir la permission de regarder le fonctionnement interne et ordinairement opaque des établissements pénitentiaires. C’est plus radicalement remettre sur l’établi tous les éléments constitutifs du réseau, des plus ténus et des plus familiers jusqu’aux représentations sociales, principes d’intelligibilité et partages discursifs qui les supportent. C’est ainsi que l’on peut entendre la définition du GIP par Foucault en tant qu’ « entreprise de problématisation »56.

  • 57 « Qui va en prison ? », s.l., s.d., archives GIP/IMEC.
  • 58 Ibid.

31On a déjà aperçu que la distinction entre « politiques et droits commun » fut d’emblée l’enjeu d’une subversion des catégories de jugement. Dans la veine marxiste, la loi est démasquée comme le produit de la domination de la classe bourgeoise. Sa fausse neutralité, sous couvert d’intérêt général, ne vise qu’à légitimer la défense des intérêts spécifiques des couches dominantes. Corrélativement, les infractions ne sont pas envisagées sous l’angle atomisant de la responsabilité individuelle, mais sont la résultante systémique d’une oppression de classe qui contraint à l’illégalisme formel. Le caractère illégal de certains actes individuels s’entend alors comme la réponse logique à la violence originelle des asymétries sociales qui perpétuent la domination. A partir de là, deux possibilités se font concurrence tout en coexistant. D’abord, un schème de compréhension passif : « La délinquance est l’une des formes de violence des rapports sociaux », une réaction « velléitaire et désespérée »57. Elle est alors dépeinte comme une conduite contrainte, acculée, forcée d’agir comme telle : on est délinquant parce qu’on n’a plus le choix. Parallèlement, dans une logique voisine du « retournement de stigmate » goffmanien, la délinquance peut être définie comme une pratique active, comme un acte conscient et séditieux. Alors, la délinquance n’est plus « une conséquence plus ou moins fâcheuse et excusable de la situation des classes opprimées, mais une révolte contre cet état de fait, une insoumission »58. Sous cet angle, les illégalismes peuvent apparaître comme une forme particulière de rébellion, comme des actes de plein droit politiques. Le GIP s’emploie à démonter la fiction de l’égalité de tous devant la loi, et à démontrer que le vivier de recrutement des maisons d’arrêt, ce sont toujours les mêmes : les jeunes, les prolétaires, les marginaux. La catégorie de « prisonniers politiques » peut alors être élargie jusqu’à contenir, à la limite, tous les prisonniers.

  • 59 Dérouet J.L., Ecole et Justice. De l’égalité des chances aux compromis locaux ?, Paris, Métailié, 1 (...)
  • 60 « Document préparé par le GIP (Toul) », s.l., s.d., archives GIP/IMEC.

32S’attaquer au droit, c’est mettre en cause les mécanismes de la boîte noire en déconsidérant le principe de justice qui la sous-tend et cimente sa légitimité. Le cas de la prison peut être comparé à celui de la boîte noire scolaire, « réseau de connexions gigantesque construit autour de l’égalité des chances »59. La contestation des années 1960, en thématisant l’école comme lieu politique et en démontant la fausseté de l’idéal égalitaire (reproduction de classes), a mis en cause une légitimité fondée sur l’idée d’un long processus historique d’arrachement aux sphères privées, familiale ou religieuse. Le phénomène est ici voisin, dans la mesure où la légitimité contestée du droit repose sur son détachement de la sphère politique et son caractère égalitaire affiché : nous sommes tous des justiciables et pour tous, tel acte vaut telle peine. Contester ce maillon revient à saper tout l’édifice. Cette entreprise de déconstruction connaît un ultime prolongement dans le brouillage des catégories fondatrices qui sont au principe de l’emprisonnement, celles qui dissocient les « coupables » des « innocents ». Ce n’est pas seulement que les appartenances de classe génèrent des inégalités de traitement devant la justice. C’est le mécanisme d’attribution même de l’étiquette de « coupable » qui fait l’objet d’un refus. Il s’agit d’affirmer que les coupables juridiquement désignés ne sont pas les vrais coupables, et que non seulement ces vrais coupables ne sont pas inquiétés, mais qu’en plus ils occupent des positions respectées dans la société – ainsi les patrons : « La justice prétend protéger la société. Or ceux qui exploitent le peuple, qui assassinent les ouvriers dans les mines ou les chantiers ne sont pas inquiétés »60.

33Un autre argument apparemment similaire, mais de nature essentiellement différente, consiste à mettre en cause la prééminence de la loi. Il n’est pas question, cette fois, d’opposer aux valeurs prônées par les gouvernants d’autres valeurs ou d’autres lois qui seraient déclarées supérieures, plus justes ou plus humaines. Il s’agit au contraire de prendre les prétentions étatiques au mot, et d’exploiter au maximum les contradictions qu’elles manifestent. L’objectif est moins alors de dévoiler l’abjection de l’idéologie d’Etat, que de chercher à rendre visible ses « mensonges », c’est-à-dire le contraste entre ses discours et des actions.

  • 61 Texte accompagnant le questionnaire du GIP Toulouse, s.l., s.d., archives GIP/IMEC.

« S’il se peut que le détenu ait été mis en prison au nom de la loi, une fois qu’il a franchi le portail de la maison d’arrêt, ou de la centrale, la règle veut qu’il n’appartienne plus à la loi, mais à l’arbitraire, à la violence, à la répression incontrôlée, au secret. La loi et le droit cessent là justement où commence la prison. La justice met le détenu hors-la-loi. Tel est le principe fondamental du système pénitentiaire français »61.

34Ici, ce n’est pas seulement que la société mette au cachot de « faux » coupables au lieu de ceux qui sont supposés mériter vraiment ce châtiment. L’argument renverse intégralement les revendications légalistes du souverain, en mettant en scène l’ultime paradoxe : les lieux de punition de l’infraction à la loi fonctionnent eux-mêmes en dérogeant à la loi. Si l’argument précédent a depuis fait long feu, celui-ci en revanche était promis à un grand avenir.

  • 62 Sur ce point, les récits du romancier américain Edward Bunker, connaisseur direct de l’enfermement, (...)
  • 63 Boullant F., Michel Foucault et les prisons, Paris, PUF, 2003, p. 17.
  • 64 Michel Foucault, cité dans Le Groupe d’Information sur les Prisons – Archives d’une lutte, op. cit. (...)

35D’autres partages – entre discours « savant » et « militant », « information » ou « dénonciation » – sont pareillement brouillés ou réagencés. Initialement, le GIP met en avant sa vocation comme un droit au savoir, un impératif de rassemblement de faits. Cette soif de connaissance ne trouve toutefois pas sa fin en elle-même. Elle ne se réduit pas à la fonction, au demeurant cruciale, de contre-expertise destinée à faire entendre d’autres vérités, à produire des énoncés alternatifs. Contre l’idée qu’on peut aisément distinguer d’une part ce qui relèverait réellement de l’exercice du pouvoir, et d’autre part, les manifestations apparemment anodines du quotidien carcéral, l’urgent est de désigner tous les moyens, y compris les plus discrets, par lesquels transite le pouvoir. Faire apparaître, donc, ses médiations et ses points d’appui ; le saisir dans sa matérialité et dans son effectivité. Déployer les séries de foyers et de canaux discursifs et matériels qu’il emprunte et qui le supportent, le prolongent, lui donnent consistance62. La dénonciation de la domination passe donc aussi par la description fine des cellules, du travail, des visites, de la cantine – plus tard par un réquisitoire sans appel contre le casier judiciaire. Une tension parcourt le discours du GIP : l’ « impossible hiérarchie des gravités »63. Ne pas mettre dos à dos les améliorations matérielles du quotidien et les vrais changements de fond. Le piège de cette topographie du pouvoir, c’est que : « Ici et là, on ne veut attaquer le mal qu’"à la racine", c’est-à-dire là où personne ne le voit ni ne l’éprouve – loin de l’événement, loin des forces qui s’affrontent et de l’acte de domination »64.

  • 65 Defert D., « L’émergence d’un nouveau front : les prisons », op. cit., p. 326.
  • 66 Extrait de GIP, Le GIP enquête dans un prison-modèle : Fleury-Mérogis, op. cit.

36Rétrospectivement, Defert estime que le GIP a constitué une charnière entre la deuxième vague militante de l’après-mai et les mouvements « dits de libération » ultérieurs, de type politique et socio-éthique65. Le GIP se situe peut-être aussi à un croisement entre deux types de critique. D’un côté une critique globalisante du droit, d’inspiration marxiste et/ou fonctionnaliste, centrée sur le dévoilement de la fonction réelle de l’instrument juridique dans la distribution sociale inégalitaire. De l’autre côté une critique d’inspiration pragmatiste qui, récusant le systématisme des conceptions instrumentales, cherche plutôt à discerner à quoi tient le droit pour multiplier les prises possibles, et repérer des lieux concrets pour l’observation et l’action. La position critique du GIP se définit enfin par le mot d’ordre qu’elle ne cessera de marteler tout au long de son aventure : « la parole aux prisonniers ». Son objectif revendiqué est de frayer la voie à une prise de parole des prisonniers eux-mêmes, sans représentation ni avant-garde éclairée, afin que soit possible la formulation d’un type de discours socialement invalidé : « Le GIP ne se propose pas de parler pour les détenus des différentes prisons : il se propose au contraire de leur donner la possibilité de parler eux-mêmes, et de dire ce qui se passe dans les prisons »66.

  • 67 Boullant F., op. cit., p. 107 et s.
  • 68 Linhart R., L’Etabli, Paris, Minuit, 1978, p. 25.

37Enfin, on ne saurait trop insister sur l’intégration socio-logique de l’institution prison dans l’ensemble des mécanismes matériels et symboliques auxquels elle est liée, et d’abord ceux du système pénal67. Le regard doit porter autour et au-delà de la prison, qui ne peut être réduite à un « trou noir » libre d’attaches. Les documents produits par le GIP portent l’accusation en retraçant les chaînes de dépendances fonctionnelles (en particulier la prison comme rouage du triptyque répressif police/justice/prison) et en subvertissant les causalités ordinaires. Ce qui remplit les prisons, ce ne sont pas alors les délits mais le quadrillage policier, le contrôle des illégalismes populaires, le fonctionnement d’une justice de classe, la violence inhérente aux rapports sociaux. D’où l’intention du groupe, finalement sans suite, d’ouvrir un nouveau front de lutte au sein même des « quartiers », c’est-à-dire au plus près des manifestations quotidiennes du pouvoir. La singularité de la prison est quelquefois cassée au profit d’une théorie du continuum, dans laquelle chaque élément ne se comprend que par référence aux autres. Ainsi les plus radicaux s’emploient à montrer que la fonction réelle de la prison, c’est de servir à faire accepter l’usine en étant pire qu’elle. Le livre de l’ancien chef de file de la G.P. Robert Linhart, L’Etabli, exprime cette proximité à sa manière, par une série de métaphores évocatrices. L’usine y est caractérisée comme un univers « semi-pénitentiaire », qui génère : « (…) le monstrueux étirement du temps, la dureté du travail indéfiniment répété, l’autoritarisme des chefs et la sécheresse des ordres, la morne atmosphère de prison qui glace l’atelier »68.

38Nous ne pouvions ici rendre compte que de quelques uns des traits essentiels qui ont caractérisé ce mouvement atypique que fut le GIP. Par son activisme multiforme, combinant les actions les plus concrètes aux discours les plus conceptuels, il peut être décrit comme un paradigme critique – entendu en son sens ordinaire comme un modèle exemplaire (mais cependant non « achevé ») de critique de l’institution carcérale. Cette analyse du GIP s’inscrit dans une perspective plus générale, qui délaisse un temps la question des fonctions que sert la prison, pour se concentrer sur les modalités socio-historiques de son développement. L’institution carcérale bénéficie d’un a priori d’immuabilité solidement ancré dans le sens commun, qui peut être converti en étonnement. Il s’agit de ne pas considérer la prison comme un monolithe qui, depuis qu’il a émergé en tant que forme historique, traverserait l’histoire sans plus guère en être affecté, mais de s’interroger à l’inverse sur la manière dont elle se meut à travers cette histoire, tout en paraissant si insensible à ses secousses. Cette idée revient à poser la question de l’historicité propre à la solution carcérale, et à saisir les changements qui l’affectent en portant le regard sur des éléments qui, du point de vue du principe de l’institution, peuvent paraître insignifiants mais qui, en réalité, rappellent que la prison n’est pas hors de l’histoire, ni hors du monde. On interroge ainsi non seulement la transformation sous l’apparence de l’immuabilité, mais aussi les conditions qui produisent cette apparence en les cherchant… dans le changement même. Une telle problématique suppose d’être attentif aux moments de mise à l’épreuve de l’institution, entendus comme des situations historiques où celle-ci apparaît subitement exposée à des forces inhabituelles et où se dévoilent les processus singuliers par lesquels elle parvient, à l’issue des épreuves qu’elle traverse, à continuer à se donner pour identique à elle-même. Son apparente invariabilité est alors susceptible d’une interprétation paradoxale comme le résultat d’un processus de transformation.

  • 69 Le Groupe d’Information sur les Prisons – Archives d’une lutte, op. cit., p. 11.

39Cette approche a conjointement pour condition une suspension des préjugés quant à la nature de la prison et, en premier lieu, celui de l’existence même d’une telle nature, qui est au fondement de l’a priori de l’immuabilité qui lui est attachée. Le point d’entrée par les épreuves est un dispositif méthodologique qui suppose un principe d’indétermination. C’est en effet à travers elles qu’il convient de lister les qualités pertinentes de l’entité qui est à l’épreuve, y compris ce qui peut relever de l’invariant ou du changeant. Le processus de politisation de la prison dans l’après-68 a constitué une telle épreuve. Il était impossible de s’en saisir sans prendre au sérieux (comme nous avons tenté de le faire ici), c’est-à-dire à la lettre, le fait qu’il a incarné cet « instant où l’institution pénitentiaire vacilla, où l’on imagina même qu’elle pouvait disparaître… »69. Les épreuves que traverse l’institution carcérale, et qui la constituent en acte, fournissent des lieux d’observation pertinents pour décrire quelles sont les forces qui travaillent constamment cette forme sociale au mode d’existence trouble, partagé entre un enracinement apparemment inébranlable, et une réalité socio-historiquement construite qui rappelle sa contingence et son destin mortel.

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Notes

1 Ce roman de Tolstoï, qui raconte la découverte concrète de la lutte des classes par un propriétaire ayant oublié les convictions idéalistes de sa jeunesse, vaut des traités de sciences sociales. Outre une satire féroce d’une procédure judiciaire décrite comme une mascarade, il met en scène de façon saisissante ce que Foucault nommera plus tard la « gestion différentielle des illégalismes ».

2 Je remercie Dominique Linhardt, Cédric Moreau de Bellaing et les lecteurs anonymes pour leurs lectures attentives et leurs critiques.

3 Nous reprenons une expression attribuée à Bernard Lacroix, puis banalisée par les historiens de l’Institut d’Histoire du Temps Présent (IHTP).

4 Texte du GIP de mars 1971, cité dans Le Groupe d’Information sur les Prisons – Archives d’une lutte, 1970-1972, documents réunis et présentés par Philippe Artières, Laurent Quéro et Michelle Zancarini-Fournel, Paris, Editions de l’IMEC, 2003, p. 52. Ce livre rend accessible au lecteur de nombreuses archives et informations : nous invitons vivement le lecteur à s’y plonger.

5 Defert D., « L’émergence d’un nouveau front : les prisons », in Le Groupe d’Information sur les Prisons – Archives d’une lutte, op. cit., p. 315-326.

6 GIP, Le GIP enquête dans un prison-modèle : Fleury-Mérogis, Paris, Champ Libre, coll. « Intolérable », n°2, 1971, archives GIP/IMEC.

7 Notons qu’un tel terrain permet de convoquer plusieurs acceptions du terme et de mener l’analyse à plusieurs niveaux : le « politique » comme champ politique institutionnel/professionnel (Bourdieu) ; comme social requalifié en fonction des rapports de force (Leca J., « Le repérage du politique », Projet, n° 71, 1973, p. 11-24) ; comme point d’intensification structurant un rapport ami/ennemi (Schmitt) ; voire comme rapport à l’espace et à la discussion publics (Habermas).

8 C’est par raccourci obligé que l’on parle ici « du » GIP, comme s’il était une entité fixe et stable. En réalité, le GIP est une (non-)structure réticulaire, un maillage de groupes locaux permettant des initiatives décentralisées.

9 Sur ces réformes replacées dans une série historique de longue durée, voir Faugeron C., Le Boulaire J.M., « Prisons, peines de prison et ordre public », Revue française de sociologie, 33 (1), 1992, p. 3-32.

10 « Entretien avec Michel Foucault », Dits et Ecrits (D & E), t. 4, Paris, Gallimard, 1994, n°281, p. 81.

11 Sur la centralité historique du salariat comme vecteur du conflit politique, voir Castel R., Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995.

12 Althusser L., « Idéologie et appareils idéologiques d’Etat », Positions (1964-1975), Paris, Editions sociales, 1976 [1970], p. 67-125.

13 Sur l’UJCml et la G.P., voir notamment Sommier I., La violence politique et son deuil. L’après-68 en France et en Italie, Rennes, PUR, 1998, notamment p. 116-122.

14 Foucault M., Il faut défendre la société, cours au Collège de France 1975-1976, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1997, p. 6. Insistons sur la revendication maintenue de l’objectif révolutionnaire. Rétrospectivement, il est tentant d’envisager cette époque comme une période charnière dans l’expression des revendications sociales. De ce point de vue, la deuxième vague de l’après-Mai succéderait aux luttes héritées de la classe ouvrière, avant de laisser place à des mouvements contemporains aux ambitions étroitement circonscrites, dénuées de l’enjeu d’une prise du pouvoir. Une telle vision n’est certes pas dépourvue de vérité ; elle souffre toutefois d’un biais téléologique qui l’empêche de saisir la spécificité des mouvements de cette époque autrement que comme une sorte de passerelle historique obligée vers un réformisme sans envergure. La perspective défendue alors n’est pas celle d’une renonciation de l’idéal révolutionnaire au nom d’améliorations plus ténues mais plus concrètes. Il s’agit bien de rester révolutionnaire, mais en abandonnant les perspectives liées aux postulats centralistes. Cette prétention mérite d’être prise au sérieux, sans que l’interprétation la réduise immédiatement à l’expression d’un chant du cygne mal camouflé par une fausse conscience aliénée.

15 Foucault M., Il faut défendre la société, op. cit., p. 7.

16 Guattari F. (entretien avec), « Antipsychiatrie, antipsychanalyse », Le Magazine littéraire, n°112-113, mai 1976, p. 28.

17 Perrot M., « La leçon des ténèbres. Michel Foucault et la prison », Actes. Cahiers d’action juridique, n°54, 1986, p. 75.

18 Document sans titre préparé par l’OPP, « petit groupe assurant la défense et l’organisation des prisonniers politiques », s.l., s.d. [après les procès des diffuseurs de La Cause du Peuple], archives GIP/IMEC.

19 « De toutes les classes subsistant aujourd’hui en face de la bourgeoisie, le prolétariat seul forme une classe réellement révolutionnaire (…) La pègre prolétarienne, ces basses couches de l’ancienne société qui se putréfient sur place, peut se trouver entraînée dans le mouvement grâce à une révolution prolétarienne, alors que tout dans son existence la dispose à se laisser acheter pour des menées réactionnaires. » Marx K., Le Manifeste communiste [1848], in Philosophie, Paris, Folio Gallimard, trad. de M. Rubel, 1994, p. 411-412.

20 Voir l’article « Lumpenprolétariat », in Labica G., Bensussan G. (dir.), Dictionnaire du marxisme, Paris, PUF, 1999 (3e éd.).

21 Voir Artières P., « L’ombre des prisonniers sur le toit. Les héritages du GIP », in Eribon D. (dir.), L’infréquentable Michel Foucault. Renouveaux de la pensée critique, Paris, Epel, 2000, p. 101-111.

22 Voir « Le combat des détenus politiques », Paris, Maspéro, 1970, textes rassemblés par « un groupe de prisonniers politiques récemment libérés », archives GIP/IMEC. Sur-titrée « Les prisonniers politiques parlent », cette brochure particulièrement instructive concerne les grèves de la faim de 1970-1971 et les procès des diffuseurs de La Cause du Peuple.

23 Les directeurs de La Cause du Peuple, ainsi qu’Alain Geismar ont notamment été écroués. Ce dernier fut condamné à dix-huit mois ferme. Voir les Minutes du Procès d’Alain Geismar (préfacées par Jean-Paul Sartre), s.l., éditions Hallier, 1970.

24 Cité par Sommier I., op. cit., p. 40.

25 Geismar A., cité dans Le Groupe d’Information sur les Prisons – Archives d’une lutte, op.cit., p. 180.

26 Voir à ce sujet Siméant J., La Cause des sans-papiers, Paris, Presses de la FNSP, 1998 ; « La violence d’un répertoire : les sans-papiers en grève de la faim », Cultures & Conflits, n°9-10, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 315-338. Les grèves de la faim sont à l’époque d’un usage fréquent : les Renseignements Généraux ont comptabilisé plus de 70 mouvements de ce type pour l’année 1970 (Le Groupe d’Information sur les Prisons – Archives d’une lutte, op. cit., p. 27).

27 Forme de chantage a priori étrange des plus dominés face à l’Etat souverain, qu’on peut mettre en relation avec les transformations du pouvoir souverain dans son rapport à la vie et la mort de ses sujets (Foucault M., La Volonté de Savoir, Paris, Gallimard, 1976), la grève de la faim apparaît comme un moyen physique et symbolique de dépouiller l’Etat de ce pouvoir, tout en mettant en cause sa prétention à garantir le bien commun. C’est toute la dimension politique du suicide : refuser à l’institution son monopole de la violence légitime sur les corps.

28 Lire l’article de Dominique Linhardt dans ce numéro.

29 Defert D., Donzelot J., « La charnière des prisons », Le Magazine littéraire, 1976, n°112-113,  p. 33.

30 Voir Le Monde du 3 septembre 1970.

31 Voir le texte « écrit dans les prisons de France » du 1er septembre 1970, cité dans Le Groupe d’Information sur les Prisons – Archives d’une lutte, op. cit., pp. 31-32.

32 La Cour de Sûreté de l’Etat, créée en 1963 à l’initiative de C. de Gaulle, était une juridiction d’exception composée de magistrats et de militaires pour juger toute infraction « en relation avec une entreprise individuelle et collective tendant à substituer une autorité illégale à l’autorité de l’Etat ». Elle fut abolie suite à l’alternance de 1981.

33 « [C]’est plus qu’un tribunal bourgeois, c’est un tribunal fasciste qui entre en jeu quand l’appareil de répression judiciaire ordinaire devient impuissant, quand la bourgeoisie se voit contrainte à renoncer à sa propre ‘légalité’ » (« Le combat des détenus politiques », op. cit., p. 16, archives GIP/IMEC).

34 Se référer à la chronologie détaillée dansLe Groupe d’Information sur les Prisons – Archives d’une lutte, op. cit., p. 327 et s.

35 Entretien avec Daniel Defert (que je remercie ici), novembre 2000. Initialement publié dans La Cause du Peuple, le manifeste fondateur du GIP est reproduit avec une introduction dans Foucault M., D & E, t. 1, n° 86, p. 1042-1043.

36 Voir sur ce différend Foucault M., « Sur la justice populaire : Débat avec les maos », D & E, t. 1 (rééd. Gallimard « Quarto »), n° 108, p. 1208-1237.

37 Tract, s.l., s.d. [distribué lors de la conférence de presse du 8 février], archives GIP/IMEC.

38 Foucault M., Il faut défendre la société, op. cit. C’est ainsi que Paul Veyne a pu qualifier son ami de « guerrier », in « Le dernier Foucault et sa morale », Critique, n°471-472, 1986, p. 933.

39 Citations issues respectivement de : « l’illégalisme et le pouvoir de punir », D & E, t. 3, n°175, p. 87 ; « Enquête sur les prisons : brisons les barreaux du silence », D & E, t. 2, n°88, p. 177 ; « Sur la sellette », D & E, t. 2, n°152, p. 725.

40 Tilly C., « Les origines du répertoire de l’action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne », Vingtième Siècle, n°4, 1984.

41 Bourdieu P., « Le paradoxe du sociologue », Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984, p. 86-94 ; Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001, p. 281-292. La « théorie de l’étiquetage » (elle-même soumise à un enjeu de définition !) formalisée par l’Ecole de Chicago, par son attention aux mécanismes de l’assignation d’identité, soulève naturellement ici des questions centrales : Becker H., Outsiders, Paris, Métailié, 1985 [1963].

42 « La règle de méthode qui consiste à laisser les acteurs s’entre-définir les uns les autres peut accommoder tous les cas y compris, celui, miraculeux, d’un accord entre celui qui définit et celui qu’on définit » Latour B., Aramis ou l’amour des techniques, Paris, La Découverte, 1992, p. 137. Cet accord peut se faire par exemple sur la catégorie de « subversif » : d’un côté titre honorifique, de l’autre jugement dépréciatif…

43 Expression d’un avocat tirée de « Activités du GIP (2) », s.l., s.d., archives GIP/IMEC.

44 Communiqué du ministère de la Justice du 12 janvier 1972.

45 Voir à ce sujet Joseph I., Erwin Goffman et la microsociologie, Paris, Puf, 2003 [1998], notamment p. 51-69.

46 Parmi les noms familiers en sciences sociales, citons comme militants ou compagnons Gilles Deleuze, Jean Genet, Maurice Clavel, Jacques Donzelot, Jacques Rancière, Jean-Pierre Faye, Jean-Claude Passeron (relecteur du premier questionnaire), etc. Voir Eribon D., Michel Foucault (1924-1984), Paris, Champs Flammarion, 1991, p. 237-251.

47 Lettre de René Pleven à Jacques Fauvet datée du 18 juin 1971, archives GIP/IMEC.

48 « Document concernant une réunion nationale du GIP », s.l., s.d., archives GIP/IMEC.

49 Sur la pièce, voir Le Groupe d’Information sur les Prisons – Archives d’une lutte, op. cit., p. 237-257. Lire aussi Artières P., « La prison en procès », Vingtième Siècle, n°70, 2001,  p. 57-70.

50 Gavi P., « Foucault », in de Waresquiel E. (dir.), Le Siècle rebelle. Dictionnaire de la contestation au XXème siècle, Paris, Larousse, 1998, p. 218.

51 Gros F., « L’intellectuel selon Foucault : un jansénisme politique », La Pensée, n°299, 1994, p. 84. Voir aussi Artières P., « Dire l’actualité. Le travail de diagnostic chez Michel Foucault », in Gros F. (dir.), Foucault. Le courage de la vérité, Paris, PUF, 2002, p. 11-34.

52 Formule de Gilles Deleuze, dans « Les intellectuels et les pouvoir », D & E, t. 2, n°106, p. 309.

53 Voir Hulsman L., Bernat de Celis J., Peines perdues, Paris, Le Centurion, 1982.

54 Latour B., L’espoir de Pandore. Pour une version réaliste de l’activité scientifique, Paris, La Découverte, 2001, p. 329. Central dans la sociologie des sciences et des techniques, le concept n’est du reste pas étranger au travail de Foucault, mais seule la filiation deleuzienne est explicitement revendiquée…

55 « [A]u cœur de cette ville [carcérale] et comme pour la faire tenir, il y a, non pas le ‘centre du pouvoir’, non pas un noyau de forces, mais un réseau multiples d’éléments divers – murs, espace, institution, règles, discours… » Foucault M., Surveiller et Punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard (collection « Tel »), 1993 [1975], p. 359. Voir également Deleuze G., Foucault, Paris, Minuit, 1986.

56 « Interview de Michel Foucault », D & E, t. 4, n°353, p. 688-689.

57 « Qui va en prison ? », s.l., s.d., archives GIP/IMEC.

58 Ibid.

59 Dérouet J.L., Ecole et Justice. De l’égalité des chances aux compromis locaux ?, Paris, Métailié, 1992, p. 30.

60 « Document préparé par le GIP (Toul) », s.l., s.d., archives GIP/IMEC.

61 Texte accompagnant le questionnaire du GIP Toulouse, s.l., s.d., archives GIP/IMEC.

62 Sur ce point, les récits du romancier américain Edward Bunker, connaisseur direct de l’enfermement, font saisir combien les objets ne sont pas des symboles mais des points de passage concrets du pouvoir : « Seuls ceux qui se sont trouvés mis en cage peuvent comprendre toute l’horreur d’une clef qui verrouille une serrure. » Bunker E., Aucune bête aussi féroce,Paris, Rivages, 1991 (1973).

63 Boullant F., Michel Foucault et les prisons, Paris, PUF, 2003, p. 17.

64 Michel Foucault, cité dans Le Groupe d’Information sur les Prisons – Archives d’une lutte, op. cit., p. 168.

65 Defert D., « L’émergence d’un nouveau front : les prisons », op. cit., p. 326.

66 Extrait de GIP, Le GIP enquête dans un prison-modèle : Fleury-Mérogis, op. cit.

67 Boullant F., op. cit., p. 107 et s.

68 Linhart R., L’Etabli, Paris, Minuit, 1978, p. 25.

69 Le Groupe d’Information sur les Prisons – Archives d’une lutte, op. cit., p. 11.

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Pour citer cet article

Référence papier

Grégory Salle, « Mettre la prison à l’épreuve. Le GIP en guerre contre l’ « Intolérable » »Cultures & Conflits, 55 | 2004, 71-96.

Référence électronique

Grégory Salle, « Mettre la prison à l’épreuve. Le GIP en guerre contre l’ « Intolérable » »Cultures & Conflits [En ligne], 55 | automne 2004, mis en ligne le 08 janvier 2010, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/conflits/1580 ; DOI : https://doi.org/10.4000/conflits.1580

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Auteur

Grégory Salle

Grégory Salle est doctorant en science politique à l’IEP de Paris. Achève actuellement une thèse, sous la direction de Pierre Lascoumes, portant sur les conditions de la force et de la légitimité de l’institution carcérale à l’épreuve d’événements historiques, à partir de cas d’étude allemand et français.

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